mardi 11 janvier 2011

Le génocide à l'écran: un thème de cinéma comme un autre?

Bonjour,

mon ami Jean-Pierre Meyniac m'a fait l'honneur de mettre en ligne sur le site www.cinéhig.clionautes.org dont il s'occupe mon article sur la représentation cinématographique du génocide juif. Cet article essaie de faire une synthèse de la question à partir des travaux récents et d'une filmographie large, des lendemains de la seconde guerre mondiale à aujourd'hui.
Dans cet article, je cherche à montrer les spécificités de cette représentation et comment certains se sont emparés de celle-ci, notamment pour exercer une sorte de censure liberticide. D'autres au contraire semblent se servir de cette représentation de l'insoutenable pour légitimer leur film, interdisant par là même la possibilité de critiquer leur film.
Telle fut l'attitude récente et postérieure à l'écriture de cet article de la réalisatrice de La rafle qui laissait entendre que les spectateurs insensibles à son film étaient des nazis en puissance. Nicolas Bedos s'éleva justement contre ce genre de diktat qui n'existe qu'avec les films traitant de ce sujet, comme si le sujet dépassait l'oeuvre. Or ce n'est pas le cas. Il y a bien des manières de parler de ce drame, jusqu'à utiliser les codes de ces films pour faire des analogies cinématographiques sur d'autres crimes de régimes totalitaires.

Ci-dessous donc cet article téléchargeable également sur http://www.cinehig.clionautes.org/spip.php?article447

LE GÉNOCIDE JUIF : UN THÈME DE CINÉMA COMME UN AUTRE ?

dimanche 9 janvier 2011, par Lionel Lacour
Le cinéma, parce qu’il faut encore le rappeler, est un art de masse produit par une industrie qui prend des risques estimés au regard du nombre de spectateurs qui pourraient aller voir le film. Il s’agit donc de satisfaire un public le plus large possible, prêt à recevoir une vision ou une interprétation proposée par un artiste cinéaste. Celles-ci ne constituent donc pas une vérité historique factuelle mais bien ce que Pierre Sorlin défendait dans Sociologie du cinéma, c’est-à-dire l’idée que le cinéma n’était pas le miroir de la société mais l’image de ce que la société était prête à accepter d’elle-même.
Or la représentation cinématographique du génocide juif de la Seconde guerre mondiale est une illustration parfaite des deux points introductifs. L’un, purement économique, a provoqué plus que pour n’importe quel autre événement historique jusqu’alors, des réticences nombreuses de la part des cinéastes comme des producteurs, de peur de ne pas trouver un public assez large prêt à se rendre en salle pour un tel spectacle. L’autre, sociologique, justifie le premier point et répond à l’interprétation de Sorlin. Le public ne semblait pas être prêt à voir à l’écran cette vision d’horreur : la société n’était pas prête à recevoir cette image qui aurait montré que peut-être, si ce massacre avait pu avoir lieu, elle pouvait en être aussi la cause, voire la responsable.
Dès lors, la représentation de ce que certains allaient appeler Shoah allait-elle se distinguer des représentations d’autres périodes ?
Dans un premier temps, nous verrons comment les historiens ont abordé la question de la « représentabilité »/représentation de la destruction des Juifs, dans un second, nous étudierons la présentation de la Shoah par le cinéma, les images ainsi produites servant de support au travail de l’historien et à la Mémoire)

I. LE GÉNOCIDE, UNE REPRÉSENTATION DE L’HISTOIRE SOUMISE AUX HISTORIENS (POUR EN FINIR AVEC LA LÉGITIMITÉ À MONTRER LE GÉNOCIDE A L’ÉCRAN)

Le cinéma s’est nourri de l’Histoire pour fournir des œuvres dites « en costume » ou « historiques » - ce qui n’a, au passage, pas grand sens, puisque, peu ou prou, tous les films sont en costume et sont par définition « historiques » - dont le respect des faits historiques fut parfois très approximatif. Si les historiens montent au créneau pour dire combien certaines représentations de Marie Antoinette sont erronées, et pas seulement dans le film éponyme de Copolla, que telle image de Paris du XIXème siècle est anachronique ou que Robin des Bois ne pouvait porter de collant moulant, les films critiqués pour leurs libertés prises avec la vérité historique ne sont pour autant jamais dénoncés par ces mêmes historiens qui comprennent que ces entorses à l’Histoire relèvent dans ces cas de figure de la liberté artistique des cinéastes dans leurs représentations du passé.
En revanche, quand il s’agit de traiter du sort des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale, les propos des historiens changent du tout au tout. S’ils continuent à traquer les erreurs factuelles, chronologiques ou géographiques, ils en viennent aussi à débattre de la légitimité même d’une quelconque représentation de ce qui a été perpétré dans les camps d’extermination.
Or, il convient de rappeler même brièvement la fonction de l’historien, celle d’un témoin le plus objectif possible de la période qu’il étudie au travers des documents qui couvrent la période à étudier. Il ne peut être celui qui juge une production, encore moins une production artistique, quand bien même celle-ci lui serait contemporaine. S’il peut la juger en tant que citoyen ou esthète, son statut d’historien ne lui confère aucune autorité supérieure permettant d’autoriser, de légitimer voire d’interdire une œuvre artistique. Dès lors, les historiens peuvent émettre leur avis sur la qualité d’un film traitant du génocide. Qu’ils listent les erreurs, factuelles ou comportementales, soit. Mais qu’ils qualifient artistiquement le film est déjà plus problématique car leurs compétences en matière de cinéma sont souvent limitées, y compris pour ceux travaillant sur le cinéma.
Et souvent, leurs opinions dévient vers une légitimation du film, ce qui pose un vrai problème quant à la liberté d’expression. Au nom de quelle autorité pourraient-ils valider ou non la création d’un film sur ce un sujet ? Par exemple, Marc Ferro, pourtant spécialiste du cinéma puisqu’il fut un des premiers historiens à voir dans le film de fiction une source historique comme n’importe quelle autre production humaine [1], n’hésita pas à remettre en cause le film La chute sous prétexte que Hitler était montré « humain » et non comme le monstre que l’on a l’habitude de présenter. C’est un point de vue de citoyen, d’homme ayant vécu la guerre. Ce n’est en aucun cas une réflexion d’historien. Or c’est bien en tant qu’historien qu’il est invité à s’exprimer et non en tant que censeur moral. Son autorité scientifique justifierait alors un jugement artistique pourtant illégitime.
Cette posture, à mon avis coupable, n’est cependant pas pleinement la faute des seuls historiens. Les cinéastes, eux aussi, débordent de leur domaine quand ils affirment vouloir rétablir la vérité historique par leurs films. Ainsi Roselyne Bosch prétendit vouloir raconter l’Histoire de la rafle du veld’hiv dans son film La rafle sortit en mars 2010. Dans plusieurs interviews, elle affirmait même que son film servirait de source pédagogique pour des enseignants qui manquaient de documents sur cet événement (sic) ; et pour finir, de raconter la réaction d’une jeune spectatrice qui, après avoir vu ce même film, « savait que plus jamais cela ne se reproduirait » (re-sic). Les cinéastes semblent donc eux aussi touchés par un syndrome curieux, symétrique à celui des historiens quand il s’agit de traiter du génocide juif. Si les historiens veulent légitimer telle ou telle production cinématographique, les cinéastes en viendraient à penser que leurs films sont des travaux d’historiens. Les deux se trompent dramatiquement, car les méthodologies et les objectifs de l’Histoire et du cinéma sont aux antipodes.
La première s’appuie sur un questionnement, sur une analyse la plus exhaustive possible des sources ; le second dépend d’une industrie du divertissement et il doit tenir compte des contraintes économiques.
Le travail d’un cinéaste, même totalement impliqué dans son sujet, ne pourra jamais être aussi approfondi que celui d’un historien. De plus, l’intérêt de son œuvre est avant tout dans sa traduction d’une perception personnelle de l’événement, qu’elle soit artistique, morale, politique et pourquoi pas aussi historique à défaut d’historienne.

II. DE LA DIFFICULTÉ DE REPRÉSENTER LE GÉNOCIDE : DE NUREMBERG À HOLOCAUSTE

Le public a pris connaissance du génocide par l’image ; les témoignages écrits sont venus ensuite. Christian Delage [2] a montré comment ceux qui participèrent à ce procès purent voir les images tournées par les Alliés et montées par John Ford. S’il ne s’agissait pas d’images des pratiques génocidaires, leurs conséquences étaient suffisamment fortes pour que ce qui n’était qu’informations écrites sur différents rapports s’incarnent, provoquant une sidération légitime pour tout être humain dit civilisé, à commencer par les juges des nazis eux-mêmes.
Cette représentation du génocide, des victimes et des bourreaux continua alors au cinéma, dans des fictions ou dans des documentaires.
L’historien israélien Shlomo Sand [3] établit une chronologie ordonnée de la représentation du génocide après 1945.
La première décennie - le début du récit
Dans cette période, se trouvent des films comme Le criminel d’Orson Welles en 1946 racontant l’histoire d’un nazi s’étant reconstruit une identité après avoir fui aux Etats-Unis mais dont le passé de bourreau est découvert par un policier interprété par Edward G. Robinson. Les anges marqués de Fred Zinnemann en 1948 filme l’histoire d’un jeune rescapé des camps d’Auschwitz. Ces films évoquent le génocide au travers de ce qu’on sait des agissements des bourreaux ou des supplices des victimes. Dans La dernière étape, la réalisatrice polonaise Wanda Jakubowska filme elle directement les camps, avec la sélection opérée par les bourreaux nazis entre celles qu’ils destinent au travail et celles, juives, qu’ils vont tuer dans les chambres à gaz.
Plus direct, ce film n’en était pas moins un film politique orienté, insistant sur la forte représentation polonaise et minimisant la place des autres communautés juives. De fait, il existe une forte différence entre cinéma de l’Est et celui occidental.
Le premier souligne le rôle de l’URSS et des communistes dans la défaite du nazisme ; le second, à Hollywood occulta pendant près de dix ans toute représentation des agissements nazis : la volonté de réhabiliter l’Allemagne au sein du bloc occidental [4] était un des éléments de la Guerre froide.
Cette période se conclut par la réalisation du film d’Alain Resnais [5].
La deuxième décennie - La Shoah, un drame en noir et blanc
Durant cette période, les réalisateurs occidentaux auraient réinvesti cet événement, avec plus de distances et de nuances. Ainsi, George Stevens réalisa Le journal d’Anne Franck en 1959, Sydney Lumet tourna Prêteur sur gage en 1964. Ces films, comme d’autres films américains, apportent des nuances à leurs personnages. Le héros de Lumet, bien que rescapé des camps, n’en est pas pour autant un personnage sympathique. L’autre point commun entre ces films est l’américanisation de la culture des juifs héroïsés, finalement très proches des pratiques culturelles des familles américaines moyennes. A l’Est, après une décennie à vanter la résistance communiste, les années 1960, grâce à une inflexion du régime depuis le XXème congrès du PCUS et du rôle joué par Khrouchtchev, furent l’occasion de raconter à nouveau la déportation des peuples juifs d’Europe orientale, en insistant sur les différences culturelles et en minimisant l’antisémitisme des Slovaques, des Tchèques et autres peuples vivant sous la coupe des Soviétiques. Cette décennie est aussi celle deKapo de Gillo Pontecorvo. Réalisé en 1960, ce film décrit les relations entre bourreaux et victimes dans les camps tout en montrant comment certains pouvaient devenir complices de leurs bourreaux. Film controversé pour certains choix esthétiques [7] , il s’inscrit pourtant lui aussi dans le parti pris pro communiste lié aux idées du réalisateur. En France, quelques films abordèrent le thème sous l’angle plus franco-français dont Le vieil homme et l’enfant de Claude Berri en 1966 ou Le chagrin et la pitié de Marcel Ophuls en 1971. Bien que radicalement différents, le premier étant une fiction, même si elle repose sur les souvenirs d’enfance de Berri, l’autre étant un documentaire montrant le comportement de Français de Clermont Ferrand face à l’Occupation et au régime de Vichy, Sand y voit pourtant des points communs : le vichyste interprété par Michel Simon protège un jeune juif qui ne se distinguait pas d’un autre jeune « Français » non juif tandis qu’Ophuls n’évoque que des Français juifs depuis longtemps dans la communauté nationale, comme notamment Pierre Mendès France, et pas les Juifs immigrés depuis les années 1900.
La troisième décennie- la Shoah, un drame en couleur
Sand montre que la couleur l’idée que la couleur s’est imposée aux cinéastes, pour des raisons commerciales et artistiques. Ce passage à la couleur est marqué alors par une augmentation de la production de films traitant de tous les aspects du génocide, de la déportation aux rafles, de la collaboration aux pratiques d’extermination. Le recul, les travaux des historiens, les films précédents permirent des productions de plus en plus variées depuis 1945 avec parfois l’effet d’électrochocs. Ainsi Lacombe Lucien de Louis Malle en 1974 semblait compléter le film d’Ophuls et s’inscrivait dans la foulée des travaux de l’historien américain Robert Paxton [8] . Sand regrette que les relations du jeune milicien, entré dans la collaboration « par hasard », avec la jeune femme juive génèrent une fascination de celle-ci vis-à-vis de Lucien faisant que « les victimes deviennent d’une certaine façon complices de leurs bourreaux » [9] . Ce hasard et cette fascination sont pourtant bien un choix du réalisateur qui montre toute l’ambiguïté de jeunes Français qui ne se déterminaient pas forcément par des choix conscients et délibérés. Sand oublie surtout d’évoquer la fascination de ce jeune « collabo » vis-à-vis de son logeur français et juif. C’est également l’ambiguïté et une forme de fascination qui prévaut dans le film de Joseph Losey Monsieur Kleinen 1976. Alain Delon joue le rôle d’un Monsieur Klein qui a un homonyme juif. Sa quête pour le retrouver le conduit de fait à faire partie des raflés du veld’hiv de juillet 1942. De films évoquant les camps, l’extermination des Juifs ou la décadence des aristocrates nazis, Sand remarque que le genre du « Thriller de la Shoah » devient un filon, avec notamment le fameux Marathon man de John Schlesinger en 1976, faisant de Lawrence Olivier un nazi ayant refait sa vie aux Etats-Unis mais qui reste un monstre, son art de la torture ou son sang froid pour assassiner l’attestant. Mais pour Sand, c’est assurément la série Holocauste en 1978 qui clôt cette décennie. Dans une analyse [10] remarquable , Sand montre combien ces quatre épisodes de 8 heures au total permettaient de comprendre finalement où en était la communauté juive, notamment américaine, en cette fin de décennie par rapport à la question de la Shoah. Et de conclure :
« Toutes les tentatives d’intellectuels, allemands ou autres, de contester l’impact de cette série furent vaines. L’histoire cinématographique de la Shoah comporte bien un avant et un après Holocauste ; peu de films méritent réellement un tel jugement. Une série télévisée aux qualités esthétiques toutes relatives réussit ce que n’avaient pu faire des dizaines de livres et des centaines d’articles, à savoir susciter dans la conscience occidentale une nouvelle confrontation avec la ‘’solution finale’’. Il est même possible d’affirmer qu’Holocauste marque le début d’une ère nouvelle dans l’histoire du cinéma, où les films sur la Shoah vont devenir une sorte de ‘’sous-genre’’. » [11]

III. DE SHOAH AUX OSCARS

La quatrième décennie- la Shoah comme "sous-genre"
Sand constate que le succès d’Holocauste entraîna la production massive de séries télévisées sur cette thématique, faisant du peuple juif la victime principale, pour ne pas dire presque unique, des camps de concentration et d’extermination. Il relève alors le cas du film d’Alan J. Pakula, fils d’un juif polonais émigré : Le choix de Sophie. Adapté en 1982 du livre de William Styron, Pakula voulut rappeler que des non-Juifs furent aussi victimes des camps, ici des Polonais catholiques. Sand insiste sur « l’ire de l’écrivain Elie Wiesel et d’autres gardiens de la spécificité juive de la Shoah » [12]. En France, les réalisateurs parmi les plus grands abordèrent alors sous différents angles le génocide, que ce soit sous l’angle de la délation, la déportation ou l’assassinat des Juifs. On peut alors évoquer Le dernier métro de François Truffaut en 1980 jusqu’au Docteur Petiot de Claude Chabrol en 1990, avec des images qui ne manquent pas de rappeler au passage le Nosferatu de Murnau [13] .
Shoah, le film de Claude Lanzmann (1985) fait alors l’objet d’une critique d’autant plus forte qu’elle remet en cause presque tout le chemin parcouru jusqu’alors par les cinéastes [14] !
Dans un réquisitoire terrible, Sand montre combien Shoah fut soutenu par les intellectuels français, à commencer par Simone de Beauvoir, les mêmes qui n’eurent pendant et après l’occupation aucune réflexion sur la question juive.
Sand note que les témoins antisémites du film ne sont pas des Français ou des intellectuels allemands mais des pauvres paysans polonais, coupables de ne pas être intervenus face à l’extermination. Comme si le film de Lanzmann voulait mettre sur le même plan l’antisémitisme polonais et celui des nazis.
Sand critique également les choix de Lanzmann, notamment le poids qu’il donne aux témoins rescapés, comme si leur témoignage individuel était en soi une référence absolue [15] .
De même il lui reproche sa propre mise en scène, sa manière pleine de mépris d’interroger certains témoins. Sand en vient aussi à s’interroger sur la « stratégie artistique » consistant à refuser « à intégrer des images d’archives au motif de ne pas vouloir utiliser le travail des assassins ». Sand signale que l’essentiel des images provient pourtant des libérateurs des camps. Enfin, l’historien israélien reprend la critique finalement la plus fréquente à l’égard de Lanzmann : «  […] le réalisateur a moins tenté d’élargir la compréhension du passé qu’il n’a cherché à le réinventer et à s’en constituer un monopole. » [16]
La cinquième décennie - la Shoah remporte des oscars.
La décennie des années 1990 est marquée par des projets de plus en plus ambitieux, nés finalement de la série Holocauste. En 1990, Andrzej Wajda tourne Korczak, racontant la vie d’un médecin et pédagogue juif, et surtout de sa survie dans le ghetto de Varsovie jusqu’à sa déportation à Treblinka. Sand part de ce film pour montrer une nouvelle orientation des productions sur ce sujet. « Désormais, la plupart des récits cinématographiques se focaliseront sur des victimes impuissantes, des rescapés, sauvés ou sauveteurs, tous juifs, évidemment, à l’exception des sauveteurs » [17]. Dès lors, La liste de Schindler entre parfaitement dans le modèle que Sand avait établi. Mais il étrille ce film de 1993, reprochant à Spielberg de créer un mythe, celui d’un héros nazi mais bon, capitaliste mais généreux [18]. Il prétend que tous les personnages ayant un peu de relief seront in fine des rescapés. Ce film serait décontextualisé, mensonger et finalement, une réponse à Holocauste qui avait tant irrité les Allemands tandis que l’industriel Schindler était un héros positif dans lequel les Allemands pouvaient se projeter.
Le problème de la critique que Sand fait à Spielberg est multiple. Tout d’abord, le film n’est pas destiné aux Européens mais aux Américains. Le réalisateur américain était sidéré de la si grande méconnaissance de la Shoah chez ses jeunes compatriotes. Son film est donc un film pédagogique, destiné, en un temps réduit, moins de trois heures, à faire comprendre le système génocidaire nazi. Et c’est bien sûr parce qu’il s’adresse à des jeunes d’abord qu’il doit trouver un héros positif. Ce personnage existe. Sand travestit aussi la fin du film en disant qu’il se termine par la venue d’un cavalier russe. Or le film se conclut par l’hommage des rescapés sur la tombe de Schindler en Israël ! Toujours dans les reproches de Sand, celui-ci conteste certains choix esthétiques. On ne peut que reconnaître avec lui un procédé tendancieux dans la scène de la vraie douche. Elle est insupportable car elle joue sur ce que l’on sait de ces douches. Si cette scène de suspens paraît outrancière et facile pour nous Français, et surtout pour nous Français instruits, c’est encore oublier que le cinéma de Spielberg a pour objectif de « secouer les consciences américaines par tous les moyens possibles, quitte à utiliser des ressorts parfois grossiers du suspens sur des thèmes difficiles. De même, l’interprétation de Sand sur les rescapés qui seraient tous ceux qu’on avait pu bien identifier ne tient pas. Certains, d’ailleurs, reprochent justement au réalisateur le procédé de la petite fille en manteau rouge, bien identifiable dans un film en noir et blanc. Or on ne peut reprocher tout et son contraire. L’utilisation du rouge sur le manteau de la petite fille est plutôt cinématographiquement subtile car elle permet de l’identifier toujours et de croire qu’elle sera sauvée. Elle ne le sera pas. Elle sera morte parmi d’autres. Pourquoi aurait-elle d’ailleurs été sauvée ? Parce que elle avait été identifiée ? Cette petite fille, remarquable au sens premier, ne sera donc pas une rescapée. Et si ce procédé peut apparaître « lourd » aux Européens, l’idée que cette petite fille ne soit pas plus épargnée que d’autres fut un choc pour les jeunes spectateurs américains. Enfin, si on s’en tient aux faits, en mettant de côté la trame romanesque, ce qui est montré dans le film de Spielberg est à la fois réaliste et erroné. Réaliste car historiquement avéré, mais erroné car les faits mentionnés ne pouvaient se tenir dans les mêmes lieux et dans l’unité de temps proposée par le film. Mais l’objectif de Spielberg n’était pas celui d’un historien.
Ces reproches n’empêchèrent pas Spielberg de recevoir les Oscars pour, tout comme Roberto Benigni obtint celui du meilleur film étranger en 1998 un pour La vie est belle sorti en 1997 [19] . On reprocha à Benigni d’avoir voulu faire rire du génocide. On lui reprocha aussi que son héros « était dépourvu de la moindre trace d’identité juive. » [20] Sand répond à la critique en soulignant que justement, pour les Italiens, toute « identité juive imaginaire n’aurait pu être interprétée en Italie que comme une marque de racisme. » Et Sand de continuer : « le critique cinématographique du journal juif américain ne semblait pas bien connaître l’histoire culturelle des Italiens de confession juive au XXème siècle. » C’était aussi surtout ne pas admettre ce que Benigni avait voulu transmettre aux Italiens : une fable.
Au total, pour Benigni comme pour Spielberg, la question centrale est bien celle du public visé : à qui était destiné La vie est belle ? Aux Italiens d’abord et avant tout. Ce qui revient à dire qu’il n’y a pas une forme unique ou universelle pour traiter du génocide ni de transmettre sa mémoire.

IV. DE LA LÉGITIMITÉ DE FILMER "LA SHOAH" À L’UTILISATION PÉDAGOGIQUE DE CES IMAGES

« Peut-on faire des films de fiction à partir de l’Holocauste ? La réponse est clairement non : le temps ne fait rien à l’affaire. Oui, il y a des tabous comme il y a des barrières de langage. Pour ne pas brouiller le souvenir du plus grand crime de l’Histoire, les sourires ne doivent pas avoir leur place à Auschwitz. » Ainsi s’exprimait Robert Holcman dans Le Monde en 1998 [21] . Cette position semble faire écho à celle de Lanzmann qui proclame désormais l’impossibilité de représenter l’image de gazage ou tout autre acte d’extermination sous prétexte que ces images n’existeraient pas.
Ces positions peuvent paraître ahurissantes et représenter une menace envers la liberté de création artistique. Dans l’affirmation d’Holcman, on voit toute l’ignorance de la production artistique en général, et du cinéma en particulier. La question n’est pas de faire sourire ou d’apitoyer mais bien de comprendre la morale, ou pour reprendre l’expression des scénaristes, la théorie du film. Par définition, la création n’a nullement à subir des tabous ou une censure morale. Faire d’un seul film la référence unique, c’est placer les autres réalisateurs au mieux dans la position du blasphémateur, au pire dans celle de l’hérétique. Quant à l’argument sur l’absence d’image du génocide, appliquée plus largement, cela amènerait à ne plus pouvoir produire de films dont l’action serait antérieure à l’invention de la photographie !
De plus, quand Lanzmann condamne les films de fiction sur le génocide ou critique les documentaires utilisant des images d’archives, le bulldozer de Bergen-Belsen par exemple, il feint d’oublier que ces images sont connues des spectateurs du film Shoah. Les images des documentaires comme celui de Resnais ont tellement imprégné l’esprit de celui qui voit les 9h de Shoah qu’elles viennent comme se superposer aux témoignages recueillis par Lanzmann.
Cette obsession d’interdire toute image sur le génocide est enfin d’autant plus vaine que le cinéma n’a jamais cessé, d’une manière ou d’une autre, et comme nous l’avons vu, de présenter cet événement majeur sur les écrans. Pour reprendre le découpage de Sand, chaque époque a été plus ou moins prête à voir et à montrer l’horreur. Plus on s’éloigne de l’époque du génocide, plus les spectateurs sont devenus aptes à voir des représentations réalistes, avec des écueils liés bien évidemment à la singularité du génocide. C’est parce que le cinéma a, comme le précisait Sand, investi cette période que la représentation de l’extermination joue de plus en plus sur des pré-acquis, sans pour autant avoir à montrer l’ensemble du processus génocidaire. Montrer un wagon plombé peut suffire à un spectateur français de 40 ans pour anticiper la destination du wagon. En revanche, un jeune peut avoir besoin de développer davantage, jusqu’au camp lui-même. La liste de Schindler ou d’autres films peuvent alors avoir une fonction importante pour la découverte de l’horreur nazie.
Les décors, les objets, les couleurs des films représentant le nazisme et le génocide ont tellement imprégné nos imaginaires que désormais, leur recours rend n’importe quel film sur ce thème identifiable. Et c’est parce que ces représentations fictionnelles ou documentaires sont devenues une sorte d’imagerie évidente de la Shoah que d’autres films utilisent ce même imaginaire cinématographique pour évoquer, non le génocide juif mais d’autres situations comparables ou potentiellement semblables. Il en est par exemple pour V pour Vendetta [22] , un film d’anticipation qui utilise des images puisées dans la représentation du génocide pour évoquer un possible retour à un régime totalitaire avec les conséquences que cela pourrait entraîner.
Ceci pourrait alors faire craindre une banalisation de la représentation du génocide à l’écran. Le travail de l’historien puis du pédagogue est donc de voir comment cette image évolue, comment les approches de cet événement ont varié depuis 1945. Comme n’importe quelle autre source, il est important d’établir une présentation de l’œuvre filmique, en présentant son auteur, l’idée force du film, mais surtout le contexte, à la fois de l’historiographie – j’ai rappelé que Lacombe Lucien s’inscrit dans une période de réflexion sur la politique antisémite de Vichy – mais aussi celui des spectateurs visés, le public italien n’est pas le public allemand, français ou américain. J’ai rappelé dans d’autres articles que les films qui traitent d’une période sont des films « sur » la période mais aussi « de » la période de production [23]. Ainsi, étudier un film en dit aussi long sinon plus, non sur l’Histoire évoquée mais sur la manière dont cette Histoire est transmise. Si Pierre Sorlin disait que le cinéma donnait à voir ce que la société était prête à recevoir [24] , cela permet de comprendre que ce qui est filmé en 2000 ne pouvait pas l’être en 1945. Le temps passant, l’historiographie se construit ; un travail de mémoire inégal selon les pays l’accompagne. La fiction se nourrit de la première et participe à la seconde.
La fiction est donc, selon moi, un moyen efficace pour s’adresser efficacement à un public. Qu’est-ce qu’un spectateur est prêt à entendre et à voir de lui-même. Kracauer disait que si Hollywood pouvait formater les goûts des spectateurs, ceux-ci influençaient au moins autant les producteurs de films [25]. Et ce qui est vrai pour les populations l’est aussi pour des étudiants ou des élèves. La fiction ne naît pas de nulle part et elle est un outil incroyablement plus efficace pour incarner des personnages mais aussi des sentiments, des positions politiques.
Ainsi, Lacombe Lucien est à la fois un personnage de cinéma mais aussi une représentation de la collaboration. Le film La chute est un exemple particulièrement intéressant sur l’utilisation pédagogique d’un film. Un article de Virginie Lupo présente ce film dans sa structure cinématographique – elle liste l’ensemble des séquences – mais aussi dans son accueil par les historiens et les divers publics [26]. Elle démontre brillamment combien ce film a souvent mal été compris par certains [27] tandis que d’autres historiens dont Ian Kershaw louait la précision historique du film. L’opposition entre Ferro et Kershaw ne relève donc pas de la même logique. Le premier ne voit en Hitler que le monstre, présent pourtant dans le film, ce que rappelle Virginie Lupo. Ferro ne peut se résoudre à ce que l’on représente Hitler sans évoquer plus largement le génocide juif. Il refuse a contrario de ne voir comme victime que les Allemands de Berlin subissant l’attaque des Soviétiques. Kershaw fonde quant à lui son jugement en se défaisant de valeurs « morales ». Est-ce bien de montrer Hitler en homme pouvant être aimable et prévenant ? Le peuple allemand ne souffrait-il pas lui aussi ? Les Juifs pouvaient-ils être un sujet de conversation à ce moment choisi par le réalisateur ?
Elle développe l’opposition entre le point de vue de Ian Kershaw et celui de Marc Ferro. Ian Kershaw louait la précision historique du film. Ferro rejette l’humanisation d’Hitler. Il ne voit en Hitler que le monstre, le responsable du génocide des juifs. Il refuse de mettre sur le même plan les Allemands de Berlin subissant l’attaque des Soviétiques et les Juifs exterminés par les nazis.
Kershaw fonde son jugement en se défaisant de valeurs « morales ». Est-ce bien de montrer Hitler en homme pouvant être aimable et prévenant ? Le peuple allemand ne souffrait-il pas lui aussi ? Les Juifs pouvaient-ils être un sujet de conversation à ce moment choisi par le réalisateur ?
De ce film comme d’autres découle le vrai problème de l’image cinématographique, pour les historiens comme pour les enseignants. Trop peu ont une vraie culture cinématographique, non pas au sens de la cinéphilie, mais au sens de la construction d’un film, sa genèse, son objectif. Le cinéma s’adresse à des spectateurs qui doivent avoir de l’empathie pour un personnage, parfois monstrueux, quitte à le juger à la fin. Cette logique cinématographique est contraire au travail de l’historien, même si certains sont souvent coupables d’avoir eu eux-mêmes de l’empathie, voire davantage vis-à-vis de certains personnages dont ils faisaient la biographie [28] .
L’autre crainte est souvent l’effet de sidération des spectateurs face à l’horreur, au « spectacle » du génocide, que ce soit dans des images d’archives ou de fiction. Cette sidération est inhérente au cinéma quoi qu’il arrive. Le problème qui se pose étant bien entendu l’idée que le génocide ne peut devenir objet de spectacle, et encore moins de divertissement. La question est donc moins de savoir s’il faut montrer des images « sidérantes » que de savoir comment les utiliser.
La sidération devant l’horreur peut cependant générer de vrais problèmes :
- voir des élèves insensibles face à l’horreur est assez inquiétant.
- voir des élèves sur-émotifs l’est tout autant car cela peut dire qu’ils sont manipulables facilement, ne faisant preuve d’aucune distanciation face à l’œuvre qui leur est présentée.
Néanmoins, cette sidération inhérente au film de fiction mais aussi au documentaire - peut-on être insensible aux témoignages dansShoah ? – semble bien nécessaire pour une certaine prise de conscience. Mais l’enseignant doit apporter un discours scientifique pour mieux appréhender l’Histoire de cet événement et de sa Mémoire [29].
Il faut donc prendre le film comme une source comme une autre, en cherchant le sens et la théorie du film, donnée classiquement à la fin, afin de pouvoir analyser, non pas ce qui est « juste » ou « faux » mais de comprendre l’angle d’approche choisi et pour quel public cible, ce qu’il montre et ce qu’il ne montre pas. In fine, savoir si le film a été un succès ou non permet de comprendre où en est la société avec certaines représentations de cet événement. Tout jugement est dans un premier temps à bannir du travail d’historien ou de pédagogue, ce qui n’empêche pas ensuite de donner un avis esthétique ou historique sur l’œuvre analysée. Une fois l’analyse faite, l’utilisation du film se fera selon les objectifs initiaux, en œuvre entière ou en extrait, croisés avec d’autres sources, l’enjeu majeur étant de rappeler que le cinéma traitant du génocide est à l’image de la société à laquelle le film est destiné. Enfin, si l’image de cinéma sur le génocide doit être utilisée pour faire de l’Histoire, c’est dans le cadre d’un travail sur l’Histoire de la Mémoire du génocide et non sur l’Histoire du génocide lui-même, puisque les films ne sont au mieux que des sources de seconde main tandis que celles de première main ne manquent pas.

CONCLUSION

La représentation du génocide a ouvert la voie à la difficulté de représenter certaines périodes historiques du XXème siècle car la charge mémorielle y est plus forte – forcément- que pour les autres périodes. Ceci explique pourquoi il a fallu tant de temps pour que ce thème soit abordé de plus en plus précisément et sous tous angles au cinéma. Pourtant, le débat ne semble toujours pas clos quant à la légitimité d’un artiste de cinéma à filmer, à représenter le génocide, comme si ce fait historique était à part, comme si ce qui est aujourd’hui appelé Mémoire interdisait aux artistes de raconter une histoire d’une Histoire, fut-elle la plus douloureuse de l’Humanité.
En cela, le génocide des Juifs introduisait une réflexion nouvelle sur ce qui était représentable à l’écran ou pas. La représentation de la Première guerre mondiale put en faire les frais après 1945, avec notamment Les sentiers de la gloire Mais, à bien y regarder, c’était pour des raisons autres que la représentation de cette guerre car il s’agissait de la représentation de l’armée française qui était insupportable pour des Français en pleine guerre d’Algérie [30] . Cet autre conflit justement connaît également des difficultés dans sa représentation en France, il n’est qu’à voir les débats politiques autour du film de Bouchareb Hors la loi qui subit les foudres de quelques politiciens et de certains historiens alors même que le film n’avait pas encore été projeté, ces critiques ayant lieu avant la première projection au festival de Cannes 2010.
En réalité, le fait que certains historiens ou réalisateurs aient imposé l’irreprésentabilité du génocide à l’écran pour des motifs éthiques, moraux, mémoriels ou autres relève pour le moins d’un autoritarisme liberticide, puisqu’ils interdisent de fait une liberté d’expression en s’accaparant le droit de dire ce qui est représentable de ce qui ne l’est pas. La conséquence est tout aussi liberticide. En effet, cela a participé à l’élaboration de loi qui pouvait déborder du seul cadre et du génocide juif et de la représentation artistique, avec une concurrence des mémoires des victimes de l’Histoire, quitte à la réinventer parfois, jusqu’à finalement contraindre des historiens à ne plus pouvoir librement faire de recherches [31] . C’est enfin une entrave à la pratique pédagogique des enseignants qui pourraient être empêchés d’utiliser des visions d’artistes pour évoquer la mémoire de ce génocide. A ce point là, devrons-nous interdire les représentations romaines de chrétiens suppliciés sous prétexte qu’elles ne seraient pas conformes à une vision chrétienne de l’histoire ?

Retrouvez-moi sur mon Blog, Cinésium, http://cinesium.blogspot.com/
[1In Analyse de films, analyse de sociétés, 1975.
[2Voir son excellent documentaire Nuremberg, les nazis face à leur crime, 2006
[3Le XXème siècle à l’écran, 2002 (traduit en français en 2004), pp 298 à 344
[4Shlomo SAND, op.cit, p. 302.
[5Nuit et Brouillard, 1956.] , qu’il faut replacer dans le contexte de sa production, soit à peine plus de dix ans après la découverte des camps, avec la volonté de montrer que ce génocide doit être perçu dans une portée universaliste, que les Juifs déportés et exterminés pouvaient se sentir français, tchèques ou allemands plutôt que sémites. Sand relève cependant que le film ne permet pas de comprendre pourquoi plus de 6 millions de juifs ont été ainsi éliminés[[>6>A propos de ce film, voir l’article de Nicole Lucas, Nuit et Brouillard, un film au destin singulier. Approche historique pour les classes terminales in Innover en classe : cinéma, Histoire et représentations, sous la direction de Vincent Marie et Nicole Lucas, 2007.
[7En 1961, Jacques Rivette écrivit l’article « De l’abjection » dans Les cahiers du cinéma (n°120) dans lequel il tance Pontecorvo : « l’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, [...] cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris ».
[8Il publia en 1972 un ouvrage qui allait paraître en France sous le titre La France de Vichy.
[9op.cit.,p.316.
[10op.cit.,pp 321-326.
[11op.cit., p. 326
[12op. cit., p. 327.
[13Nosferatu le vampire, 1922.
[14op.cit., pp 330-333
[15« Claude Lanzmann […] adopte une relation positiviste vis-à-vis du témoignage personnel dès lors qu’il émane d’une victime : comme si la mémoire individuelle pouvait, après quarante ans, contenir la vérité pleine et entière. Primo Lévi, l’écrivain de la Shoah, n’a cessé de mettre en garde ses lecteurs sur le fait que l’on ne peut s’en remettre exclusivement au souvenir tant qu’on ne connaît pas la couleur de l’encre qui a servi à l’écrire. », Shlomo Sand, Le XXème siècle à l’écran, p. 333.
[16op. cit., p. 333.
[17op. cit., p. 336.
[18op. cit., pp 337-340.
[19Benigni reçut aussi le Prix du jury à Cannes en 1997, occasionnant une scène mémorable avec le président du jury, Martin Scorcese.
[20In « ‘Beautiful’’ Italian Fable Dumbs Down Holocaust Horrors », Jewish Bulletin of Northern California, Michael Fox, 30 octobre 1998, cite par Shlomo Sand, op. cit., p. 343.
[21Cité dans « La destruction des juifs à l’écran » par Pascal Bauchard in Educiné.
[22De James Mc Teigue, 2005.
[23« Le cinéma source archéologique du XXème siècle », Innover en classe : cinéma, Histoire et représentations, sous la direction de Vincent Marie et Nicole Lucas, 2007.
[24In Sociologie du cinéma, 1977.
[25In De Caligari à Hitler. Une histoire psychologique du cinéma allemand, 1947 (traduit en français en 1973).
[26Virginie Lupo, « ‘’Hitler, un humain trop humain ?’’ Réflexions sur La chute (Der Untergang), d’Olivier Hirschbiegel. », Innover en classe : cinéma, Histoire et représentations, sous la direction de Vincent Marie et Nicole Lucas, 2007.
[27Cf. infra.
[28Jérôme Carcopino ne fut-il pas critiqué pour son admiration pour César ?
[29Le problème est d’autant plus difficile à résoudre que les premiers spectateurs des images du génocide étaient eux-mêmes sidérés par le « spectacle » qu’ils découvraient. Le témoignage d’Eisenhower dans Crusade in Europe le démontre. C’est bien, entre autres, le recours aux images « choc » qui a pu servir à prendre conscience de la réalité du génocide aux juges de Nuremberg ? Pourquoi en serait-il autrement pour des élèves ?
[30Encore la nécessité du contexte pour comprendre la réception – ou ici sa non réception ! - d’un film.
[31Voir « L’affaire Olivier Pétré-Grenouilleau » dans le site des clionautes : http://www.clionautes.org/spip.php?article925


A bientôt
Lionel Lacour

dimanche 9 janvier 2011

L'avocat, un héros de cinéma - Deuxième partie

Suite de l'article

II. L’avocat : bourgeois ou héraut d’une société

1. L’avocat un notable de la société ?
Une des représentations traditionnelles de l'avocat est bien sa situation de notable dans les sociétés de droit ou qui se prévalent de reposer sur le droit. Cette notabilité est représentée à l'écran sous des angles assez semblables.
dans Le procès, Orson Welles propose en 1962 un portrait d'avocat qui vit tel un grand bourgeois, pour ne pas dire un aristocrate. Orson Welles, réalisateur et acteur use de la contre-plongée et de tous les artifices possibles pour montrer que l'avocat est celui qui sait, qui a la puissance par rapport au citoyen lambda. Fumant le cigare au lit, recevant dans sa chambre tel un monarque absolu, il est celui qui peut sauver l'accusé de ce que l'Etat lui reproche, parce qu'il connaît le juge et les rouages de la justice. Cette adaptation de Kafka est donc ici cruelle pour ces Etats dont la loi n'est plus la protectrice des citoyens mais sert à asseoir les privilèges et la puissance de quelques uns. La noblesse de l'avocat, défenseur du citoyen, est dénoncée comme une façade. L'avocat ne peut rien mais il joue de son rôle d'intermédiaire entre le peuple ignorant des lois et une administration oppressive.
Cette manière de représenter l'avocat dans sa suffisance n'est pas unique au cinéma et est même une forme récurrente. Dans L'horloger de Saint Paul en 1974, Bertrand Tavernier faisait se rencontrer son horloger, joué par Philippe Noiret, et un avocat chargé de défendre le fils de l'horloger, soupçonné de meurtre. En un plan, toute la supériorité de l'avocat saute aux yeux du spectateur. Celui-ci est assis  à son bureau sur un fauteuil dominant son client, assis sur une chaise bien plus basse. Symboliquement, le client est montré comme celui étant en situation de faiblesse, faisant appel au seul soutien possible: un avocat. Utilisant un vocabulaire et un phrasé spécifique, ce qui sépare le justiciable de l'homme de justice semble un fossé que représente le bureau où se trouve les éléments du dossier.
Moins victime, Laetitia Casta ose se "rebeller" contre son avocat dans Le grand appartement de Pascal Thomas en 2006. Alors qu'elle a engagé un avocat pour la défendre dans une affaire de location immobilière, elle lui reproche de ne pas avoir été présent à l'audience. La morgue de celui qui devait la représenter est alors présentée dans tous ses aspects: un bureau gigantesque, un souci de l'apparence évident, notamment vestimentaire à quoi se rajoute la suffisance, l'affaire ne lui rapportant pas assez. Il laisse d'ailleurs ses clients, Laetita Casta et Pierre Arditi, reprendre leur liberté.
Pascal Thomas croque ici un portrait digne deDaumier, faisant de l'avocat davantage un bourgeois soucieux de s'enrichir plutôt que de défendre les causes pour lesquels ils sont payés. Cet aspect n'est d'ailleurs pas présent qu'en France ou en Europe. Dans L'associé du diable, Taylor Hackford présente en 1997 un avocat qui intègre un cabinet constitué de plusieurs avocats, tous spécialisés dans des domaines différents, dans le but de gagner le maximume d'argent. L'idéal de la justice s'efface derrière une logique purement économique. Organisé en vraie entreprise, chaque avocat doit permettre non de gagner ses procès mais de gagner des honoraires toujours plus importants. Ce cabinet est dirigé par Al Pacino... le diable lui-même! La notion de bien à laquelle se référait le héros interprété par Keanu Reeves disparaît donc derrière ce métier d'avocat qui apparaît comme complètement dissocié de toute morale.
Car là est aussi une des critiques du cinéma vis-à-vis de ce métier, à laquelle bien des spectateurs adhèrent. Maurice Pialat ne présentait-il pas aussi un avocat complètement lié sinon à la mafia, du moins à des truands dans Police en 1985? Interprété par Richard Anconina, cet avocat, dans un souci autant de reconnaissance que de profit, est présenté comme ne sachant plus faire la différence entre le bien et le mal, profitant de ses relations avec ses clients pour bénéficier de leurs relations voire de leurs trafics. Plus récemment, dans Tellement proches, Olivier Nakache et Eric Toledano confièrent à François-Xavier Demaison le rôle d'un petit avocat de banlieue combinant morgue vis-à-vis de ses clients issus des cités et compromission avec certains d'entre eux. Dans une séquence hilarante, on voit comment cet avocat s'occupant d'affaires médiocres ressemble, même si le film n'a pas le même propos ni la même ambition, à l'avocat interprété par Orson Welles. Intermédiaire obligé entre ses clients, coupables manifestes, et les institutions judiciaires, l'avocat parle un langage incompréhensible pour des jeunes déscolarisés. Et ceux-ci expriment violemment et cette incompréhension, et la certitude que cet avocat est finalement lié à ceux qui vont les condamner. Et c'est quand il réussit à "sauver" un de ceux là qu'il glisse vers eux, acceptant tout d'abord un cadeau, manifestement volé, puis de devenir recelleur jusqu'à être lui même arrêté, empruntant le même système de défense que ses clients de banlieue: "je n'ai rien à voir avec cette histoire!"
Ce que montre ce film comme les autres, c'est donc bien cette compétence de la langue. Savoir parler, savoir manier la langue, argumenter, séduire, parfois sur du vent. Voilà ce que ressentent les justiciables parfois. Voilà ce que montre le cinéma souvent. La suffisance du magistère de la parole est un classique de la représentation de l'avocat. Et si celà peut provoquer rejet de la part de certains clients, c'est souvent montré comme un des critères du bon avocat au cinéma. Dans Tout ça.. pour ça! (1993) Claude Lelouch fait de Fabrice Lucchini un avocat virtuose, se lançant dans des plaidoieries fantastiquement drôles, décalées de l'affaire jugée, citant Johnny Hallyday et Que je t'aime ou Patricia Carli dans Demain tu te maries. Cette séquence, tournée dans le palais de justice de Lyon, montrait combien un avocat peut séduire et intriguer juges et jurés, tout en devenant la vedette du procès, le résultat devenant finalement secondaire devant la maestria du défenseur.
Cet avocat, comme ceux des films cités, mais aussi comme dans de nombreux autres films, est donc un des nombreux portraits négatifs que le cinéma a fait pour ce personnage si important dans une société civilisée.
Cependant, le personnage de l'avocat est aussi montré dans de nombreux autres films comme celui qui rappelle les devoirs d'une société vis-à-vis de sa population.

2. L’avocat de cinéma : les interrogations d’une société
Que l'avocat défende un individu ou un groupe, son intervention est souvent aussi utilisée au cinéma pour défendre des groupes ou des communautés. Dans une fiction très surprenante dans sa forme, Abderrahmane Sissako fait le procès du Nord, c'est-à-dire les pays industrialisés qui exploitent les pays du Sud. Ainsi Bamako réalisé en 2006 est-il un film très engagé, mêlant le genre documentaire à celui de la fiction. mais pour faire ce procès cinématographique, le réalisateur invente à l'écran un procès avec juges et avocats. Ainsi, pour défendre sa thèse, Sissako a recours à ce personnage emblématique des pays civilisés: l'avocat. Il est la preuve que les pays du Sud savent se défendre contre les "néocolonialistes" en ayant recours aux moyens dont se sont dotés les pays du Nord pour défendre leurs intérêts: un avocat qui connaît la loi. Celui-ci devient alors autant un défenseur qu'un porte parole d'une cause qui dépasse le cas isolé ou individuel.
C'est ce que José Giovanni souhaitait dans son film de 1973 Deux hommes dans la ville. Alors que son personnage principal interprété par Alain Delon avait été libéré de prison, il est poussé à bout par un inspecteur zélé qui lui refuse le droit à une nouvelle chance. Après le meurtre de ce policier, Gino (Delon) est donc condamné sans aucune circonstance atténuante, alors même que le spectateur sait pourquoi ce meurtre a eu lieu et qu'il n'y avait pas de préméditation. La plaidoierie de son avocate ressemble néanmoins à un message à la France. Elle compare la guillotine à un hachoir faisant de la France un pays barbare. C'est donc moins la défense d'un cas que Giovanni a mis en scène que le rejet de la peine de mort. On voit derrière la figure de l'avocate le combat de Robert Badinter contre cette même peine de mort. Si l'avocate use elle aussi de ses talents d'oratrice, ceux-ci ne sont pas montrés comme risibles mais comme devant soulevé la réflexion et des jurés, et surtout des spectateurs. Le film se conclut sur l'exécution de Gino et une dénonciation de la peine de mort par Jean Gabin. Le discours de l'avocate associé à la scène de décapitation se conjuguent alors pour le spectateur. Et l'avocat devient alors le porte parole d'une certaine vision de la société au-delà du cas individuel.
De manière différente, c'est bien dans cette logique que l'avocat du film Minuit dans le jardin du bien et du mal de Clint Eastwood se positionne. Dans ce film de 1997, Kevin Spacey est accusé de meurtre. Or son avocat s'attache à montrer que derrière ce procès, c'est celui du "genre de vie" de son client qui est visé, c'est-à-dire son homosexualité. En s'adressant directement au jury, dont chacun représente une partie de la société, et en faisant allusion à un autre avocat de fiction, Perry Mason, héros récurrent de la télécision américaine, cet avocat interpelle à la fois ceux qui peuvent accuser ou acquitter son client mais aussi les spectateurs américains. Ce film relègue le crime en arrière plan et décrit cette ville de Savannah du vieux sud américain comme une mosaïque de communautés avec autant de pratiques bizarres pour ceux n'en faisant pas partie. Ces "bizareries" n'en constituent pas pour autant des cas de culpabilités. C'est ainsi qu'Eastwood amène ses spectateurs a davantage réfléchir sur la place de la communauté homosexuelle dans une région américaine particulièrment conservatrice. Et si son personnage doit être condamné, ce devra être par la preuve et non par son appartenance à une communauté qui choque les bonnes moeurs puritaines américaines.
Les avocats peuvent cependant défendre clairement des groupes d'individus dans des affaires Peter Soderbergh reprend une histoire réelle dans Erin Brokovitch, seule contre tous réalisé en 2000. En s'appuyant sur le cas d'empoisonnement lié à des négligences d'une firme qui n'a pas veillé à la sécurité de son site et occasionnant la pollution de la nappe phréatique, il raconte l'histoire d'une femme qui réussit à faire condamner cette société. Pour y parvenir, elle dut trouver le soutien d'un avocat qui accepta de prendre l'affaire puis de s'associer avec un cabinet encore plus puissant pour faire face à la puissance des avocats de la firme incriminée. Si l'image des avocats et de grands cabinets est parfois écornée, c'est toujours sur les mêmes aspects que dans le point que nous avons déjà vus: suffisance, morgue vis-à-vis des justiciables. Mais Soderbergh ne fait pas un pamphlet contre les avocats. Il apporte même des éléments de réponse à cette critique, montrant la sécheresse des procédures judiciaires et la nécessité parfois de ne pas s'impliquer émotionnellement dans les affaires pour bien défendre les clients. Mais il montre surtout que cet aspect émotionnel est aussi fondamental pour comprendre la détresse des plaignants et adapter la défense et les demandes de réparation à la situation vécue et non à celle estimée froidement.
En ce sens, le rôle d'Erin interprété par Julia Roberts est fondamental. Il montre notamment que la défense d'une cause peut être menée par une non professionnelle du droit mais qu'elle doit être soutenue par un avocat professionnel. Soderbergh ne conteste pas non plus le fait que les cabinets d'avocats puissent s'enrichir puisque celui qui a soutenu Erin a gagné beaucoup d'argent à l'issue du procès contre la firme. Mais il justifie ce gain par le fait que ce cabinet avait pris des risques en défendant ses clients sous la forme de "class action" , ce qui n'existe pas en France, ne se rétribuant que sur les indemnités perçues par les victimes dans le cas où elles gagneraient le procès. Soderbergh témoigne donc de la nécessité du recours aux avocats, des différentes approches du cas nécessaires pour gagner (connaissance de la loi, connaissance des faits, investigations, preuves et proximité avec les victimes), et de l'intérêt d'avoir des avocats puissants pour pouvoir emporter des affaires qui feront jurisprudence pour des cas similaires.



CONCLUSION

Si les représentations des avocats au cinéma montrent des fonctions équivalentes selon les pays, des représentations sociales assez semblables, leurs modes d’actions peuvent cependant différer. L’avocat américain peut ressembler à un détective, menant une enquête pour ensuite plaider au procès. L’avocat français ne peut quant à lui jouer dans le même registre et c’est davantage sa lecture de la société qui est mise en avant, soit en défendant des causes progressistes, soit au contraire en refusant une évolution de la société.
Cependant, dans tous les cas, l’avocat apparaît comme un acteur fondamental d’une démocratie moderne. Le voir renier ses principes, c’est voir reculer ses principes démocratiques.
Notre vigilance doit être donc grande quant à la préservation des prérogatives de cette profession et quant à son intégrité. Si notre cinéma devait représenter notre société sans avocat, c’est qu’il serait déjà trop tard, le cinéma ne témoignant jamais que de ce qui est et non de ce qui sera.

samedi 8 janvier 2011

Balades et Rallyes cinématographiques: découvrir Lyon autrement avec Cinésium !

Bonjour à tous,

Lyon, berceau du cinéma, tout le monde devrait le savoir. Mais avez vous déjà visité Lyon par les films qui ont été tournés dans la capitale des Gaules.
Cinésium, associé avec Bokage, une entreprise lyonnaise, propose aux entreprises des balades pour découvrir autrement la ville, avec des extraits des grands films tournés à Lyon, des anecdotes sur ces films, des jeux et qui permettront de donner des informations sur le patrimoine urbain, architectural et culturel de Lyon.

Pour davantage d'information, rendez-vous sur le site www.cinesium.fr

A très bientôt
Lionel Lacour

lundi 3 janvier 2011

L'avocat, un héros de cinéma - Première partie

Bonjour à tous et meilleurs voeux!

En mai 2008, l'Institut d'Etudes  Judiciaires dirigé par Franck Marmoz organisait une conférence sur la représentation de l'avocat au cinéma. Avec Me Chanon, qui avait été deux fois bâtonnier du Barreau de Lyon et qui nous fit grand honneur de sa présence, nous avons donc présenté rapidement à partir d'extraits, comment l'avocat était présenté sur grand écran. L'apport de Me Chanon était considérable car il permit de rétablir certaines distorsions entre ce qui est présenté dans les films et ce qui est de la réalité des avocats sur le terrain.
L'article qui suit reprend donc avec quelques compléments les aspects purement cinématographiques de la représentation des avocats au cinéma, ne pouvant reproduire les interventions plus techniques et professionnelles de Me Chanon.
Cet article sera présenté en deux messages, un par partie abordé dans cette conférence



Dans le merveilleux film , L’homme qui tua Liberty Valance de 1962, John Ford montrait comment les Etats-Unis étaient passés de la loi du plus fort à la Loi tout court et que celle-ci devait triompher envers et contre tous. Pourtant, rares sont les films qui firent d’un avocat à ce point un héros tenaillé par l’éthique de son métier. Car finalement, qu’est-ce qu’un avocat ? Un personnage connaissant le Droit et devant défendre les intérêts d’un client au nom de ce Droit, mais grâce également à une maîtrise de la parole et des gestes.
De cette définition, bien des portraits d’avocats ont pu être tirés et le cinéma ne fut pas le premier à les représenter. Ainsi, Cicéron lui-même s’était chargé de raconter ses propres exploits dans des ouvrages dans lesquels il montrait combien il avait réussi à défendre les intérêts d’un client peu fortuné contre l’Etat romain lui-même. Mais la grandeur d’âme de ces avocats n’est pas la seule caractéristique qui ait été retenue de ses professionnels du Droit. Et il suffit de voir ce que les caricatures de Daumier au XIXème siècle pour réaliser combien l’avocat est vu comme un notable défendant finalement ses propres intérêts. Et ce que les guignols font d’un des plus médiatiques avocats pénalistes de France ne vient pas changer beaucoup l’idée que se font les spectateurs de cette profession.

De fait, l’avocat est un personnage privilégié pour les cinéastes qui voient en lui de multiples possibilités scénaristiques, qu’il soit le défenseur ou accusateur dans un film de procès ou bien le partenaire incontournable des hommes d’affaires, pas toujours claires d’ailleurs ou encore le héraut des mutation sociétales lors de plaidoiries servant la thèse du réalisateur.

Notable de nos sociétés, la présence et la fonction de l’avocat dans une communauté ne caractérisent elles pas finalement ce qui distingue une démocratie des autres régimes ?

Définir les différentes représentations de l’avocat au cinéma n’est pas chose aisée, d’autant que certains avocats de films peuvent tour à tour endosser tel ou tel aspect de l’avocat.
Plutôt que de représenter l’activité professionnelle classique de l’avocat qui se résumerait finalement à deux temps possibles, le premier étant la prise en charge de l’affaire pour défendre les intérêts du client, le second étant logiquement l’aboutissement de l’affaire face à un juge, avec ou sans procès, j'essaierai de classer les différents types de représentation de l’avocat, que ce soit par son rapport à la justice ou par son implication dans la société.


I. L’avocat, personnage de Droit

Le film de L. Koulechov Les extraordinaires aventures de Mr West au pays des Bolcheviks de 1924 montre comment était caricaturé la justice après la Révolution d'Octobre. Des procès menés par une troika de brutes condamnait un accusé sans qu'il n'y ait la moindre possibilité de se défendre, et donc sans pouvoir être soutenu et représenté par un avocat! Cette caricature de cette jeune URSS fut possible parce que Staline n'avait pas encore pris le pouvoir. Concéder le droit à chacun de pouvoir être défendu par un professionnel de la Loi, c'est bien l'assurance que celle-ci sera appliquée sans arbitraire, ou du moins, avec le plus de possibilité pour l'individu de se défendre. L'avocat est donc le personnage qui le permet.

1. Le Droit : l’arme de l’avocat ?

Dans M le maudit, en 1931, Fritz Lang imagine un procès du criminel pédophile interprété par Peter Lorre. Ce procès est mené par le syndicat du crime qui représente une sorte d'Etat parallèle à celui de la République de Weimar. Les témoins à charge sont présents, le jury est un jury "populaire", ici l'ensemble des membres du syndicat du crime et, chose étonnante, l'accusé se voit même octroyer un avocat. Ainsi, même dans cette sorte d'Etat dans l'Etat comprend que pour qu'il y ait procès, il faut qu'il y ait simulacre de la justice démocratique où chacun pourrait défendre ses droits. Le plus étonnant dans cette séquence est l'attitude de l'avocat du pédophile. Membre du syndicat du crime, il sait - il le dit clairement à son "client" - que le sort de ce dernier est déjà scellé. Pourtant, Fritz Lang montre que ce personnage se sent comme investi de sa mission et se prend à défendre plus qu'on ne le lui demandait son client, trouvant de nombreux arguments pour l'épargner de la mort qui lui était promise.  Séquence étonnante donc pour un film qui illustre dans quelle situation désespérée se trouve la République de Weimar dont les élites se méfient du peuple mais qui montre que le sursaut peut venir par le droit, son application et par le recours aux hommes qui sont justement sensés défendre le peuple. "M" était voué à être exécuté par l'association criminelle. Mais c'est au sein de cette même "association" qu'est sorti un homme qui, investi de sa mission d'avocat, a utilisé des arguments non de force mais qui ressemblait au droit!
Alors que Fritz lang manifestait finalement son espérance en un sursaut de la démocratie et de la République allemande face à la montée des mouvements nationalistes et extrêmistes, au contraire, John Ford réalise lui en 1962 un film qui glorifie le pays dans lequel il vit. Dans L’homme qui tua Liberty Valance, le droit du plus fort, incarné par Lee Marvin (le bandit Liberty Valance) fait face au droit des lois, incarné par James Stewart (l'avocat Ransom Stoddard). Or c'est bien ce droit qui triomphe selon John Ford, imposant la démocratie, c'est-à-dire le droit de pouvoir désigner son représentant. Outre tous les aspects de cette démocratie dont certains étaient un rappel à ce que la démocratie américaine n'était pas encore, notamment avec le peu de droits accordés aux Noirs, c'est bien le rôle de l'avocat qui est magnifié: il sait les lois, les rappelle, se bat avec son livre, apprend la nécessité de chacun de savoir lire. Il ose mettre une enseigne signalant qu'on peut avoir recours à ses services. Et c'est bien parce que la Loi qu'il représente physiquement constitue une menace qu'il est régulièrement menacé jusqu'à risqué d'être tué par Liberty. Ford n'est pour autant pas naïf, il sait que le passage de la force à la loi a nécessité une transition. Son film est une sorte de parabole sur les Etats Unis d'Amérique, avec deux personnages radicalement opposés, reliés par John Wayne (Tom Donyphon) qui sait que la Loi doit prévaloir mais qu'elle aura aussi besoin, du moins durant un certain temps, de la force pour éliminer ceux qui ne n'utilisent que le droit du plus fort.
Deux représentations différentes de l'avocat, l'un se découvrant comme investi de sa mission, l'autre voulant imposer la loi. Deux visions assez nobles finalement.
Mais la loi peut être aussi l'arme de l'avocat en ce sens que les codes (civil, pénal...) sont de plus en plus comlpexes et permettent de trouver des failles dans des procédures ou pour contrer une poursuite légitime.
Dans Intolérable cruauté, Joel Cohen présente en 2003 deux avocats interpétés par Catherine Zeta Jones et George Clooney, spécialiste dans les affaires de contentieux familial entraînant des pensions et autres prestations financières. L'avocat est ici montré davantage comme un personnage cherchant à utiliser la loi, non dans un but noble, non pour défendre des intérêts légitimes mais bien pour l'utiliser, dans toutes les failles qui s'y trouvent, pour défendre son client, quand bien même serait-il objectivement en faute. L'intérêt de la défense n'est donc pas moral mais bien vénal, tant pour le client défendu que pour l'avocat.
Pourtant, le cinéma montre aussi que l'avocat peut maîtriser le droit parfaitement sans pour autant être capable d'influer sur une décision de justice. Deux films français le montrent. Jacques Deray, en 1993, faisait dire à Alain Delon qui jouait un avocat du barreau de Lyon dans le film Un crime que le droit s'efface parfois devant l'intime conviction. Le jury populaire peut donc commettre des erreurs face aux preuves ou aux arguments avancés par l'avocat. Ceci est vrai dans les dictatures où le jury est souvent mis sous pression du pouvoir. Mais dans les démocraties, les jurés peuvent de bonne foi, ou par idéologie, voter à l'encontre des preuves fournies lors du procès, comme c'est le cas dans Du silence et des ombres, film qui fait l'objet d'un des articles de ce blog.
L'autre film français que j'évoquais plus haut est le film d'Etienne Chatiliez de 2001, Tanguy. Dans ce cas, la loi va bien être utilisée pour régler un litige mais qui manifestement va à l'encontre du bon sens commun et contre laquelle un avocat ne peut rien. Ce jeune homme de 28 ans qui vit toujours chez ses parents alors qu'il gagne confortablement sa vie, refuse de quitter le domicile familial en vertu d'une loi qui oblige ses parents (qui gagnent encore mieux leur vie!). Lors du procès, l'avocat de Tanguy a recours à cette loi contre laquelle l'avocat des parents est impuissant. Dans une scène surréaliste, le père, interprété par André Dussolier, se voit signifier par son avocat l'inutilité d'un quelconque appel, conforté en ce sens par le procureur qui conseille, pour faire entendre raison à son fils, d'engager un homme de main dont il peut donner les coordonnées. La boucle est alors bouclée avec John Ford et la tentation est donc grande de recourir à la force quand l'avocat ne peut vous défendre, non par son incompétence, mais quand le droit ne peut vous donner raison.

2. Dans un Etat de Droit, chacun a droit à un avocat !
Ce qui ressort du point précédent est donc le fait que l'avocat se sert de la loi pour défendre son ou ses clients et qu'en vertu de celle-ci, il puisse obtenir gain de cause, y compris en obtenant une sanction plus modérée si son client est reconnu coupable.
L'existence de l'avocat ne peut donc être réelle dans les acceptions précitées que dans un Etat de droit, ce que le cinéma illustre souvent.
Dans Cent dollars pour un shériff d'Henry Hathaway (1969), la jeune héroïne évoque sans cesse son recours possible à un avocat pour chaque litige qui l'oppose à un autre citoyen américain. L’avocat apparaît donc comme une menace pour faire valoir ses droits face à des personnes qui savent être en tort ou qui peuvent redouter d'avoir à risquer un procès.
Cette possibilité du recours à l'avocat est vrai égalementt pour ceux qui ont commis une infraction ou un crime, car eux aussi peuvent faire valoir leurs droits. En 1958, dans en cas de malheur , Claude Autant Lara pousse son personnage féminin interprété par une sulfureuse Brigitte Bardot à commettre une agression. Et, sachant ce qu'elle risque en cas d'arrestation, celle-ci va chercher le soutien et les conseils auprès d'un avocat, joué par Jean Gabin, donnant lieu à une des scènes les plus torrides des années 1950 bien que semblant finalement assez sage au regard de ce que nous avons pu voir depuis! Il n'empêche, cette jeune femme sait que bien qu'étant coupable d'un vol avec violence, elle peut prétendre à être défendue par un avocat.
Même dans L'inspecteur Harry de Don Siegel (1971) le psychopathe Scorpio hurle son droit au recours à un avocat lorsque Harry le torture pour savoir où la jeune fille que Scorpio a kidnappé est ensevelie sous terre pour pouvoir ensuite la sauver. Cette scène est, entre autres scènes du film, une de celle qui ont conféré au film, et indirectement à Clint Eastwood, l'interprète du célèbre inspecteur, son étiquette de fasciste. En effet, le personnage d'Eastwood semble bien faire valoir que les forces de l'ordre peuvent enfreindre la loi quand celle-ci protège davantage les meurtriers que les victimes. Les spectateurs ne pouvaient que suivre cette morale, notamment lors de justement cette scène de torture qui faisait se confronter le droit à la défense du coupable face à l'absence de droit pour la victime, absence qu'essayait de pallier Harry en faisant tout, même ce qui était illégal, pour la sauver. Or le film n'est pas un film "fasciste", la scène finale le prouvant (pour ceux qui n'auraient pas vu ce film, je ne révèlerai donc pas cette séquence).
Mais l'avocat n'est pas seulement celui qui défend les criminels. C'est également lui que l'on va chercher quand on est accusé à tort d'un crime ou d'un délit. dans le cas des Etats-Unis, le recours à l'avocat est d'autant plus facile qu'il a un pouvoir d'investigation que le droit français ne permet pas. Il peut collecter les informations et les preuves comme le ferait en France le juge d'instruction. C'est notamment le cas dans le film d'Hitchcock Le faux coupable en 1956. Henry Fonda est injustement accusé de meurtre et il faudra la confiance et les compétences de son avocat pour qu'il puisse démontrer son innocence. Le rôle de l'avocat est donc montré ici comme un élément fondamental de la justice à plusieurs titres. Tout d'abord, il est celui qui permet à l'accusé de donner des informations qui pourraient le disculper. Ensuite, il permet à la justice d'éviter une erreur judiciaire en ne se fondant que sur des indices finalement douteux. Enfin, l'avocat prend aussi un risque en acceptant l'affaire car il ne sera payé qu'en fonction de la réussite de son procès. Ce paiement peut se faire aussi au pourcentage d'un préjudice reconnu comme dans le film Erin Brokovitch, film qui sera évoqué en deuxième partie de cet article.
Plus récemment, et dans un genre plus comique, c'est bien par le fait d'une avocate, certes stagiaire, que l'accusée de meurtre dans La revanche d'une blonde (de Robert Luketic en 2001) fut innocentée. Dans le cas du film, c'est au cours de l'interrogatoire, alors même que toutes les preuves semblaient désigner l'accusée d'avoir tuer son mari, que la vérité fut faite en désignant la véritable meurtrière. Montré de manière légère, le rôle de l'avocat ne se limite donc pas à ses seules compétences juridiques ou à son travail préparatoire. Il doit, comme la majorité des films le montre,  être capable de réaction et d'à propos, oubliant alors l'arsenal législatif preuve de sagacité. La revanche d'une blonde comme tant d'autres films illustre bien le fait que le recours à un avocat permet, parfois il est vrai, de résoudre des situations inextricables en rétablissant la vérité judiciaire. 


La deuxième partie viendra dans un prochain message. En voici déjà l'articulation:
II. L’avocat : bourgeois ou héraut d’une société
1. L’avocat un notable de la société ?
2. L’avocat de cinéma : les interrogations d’une société
CONCLUSION

A bientôt

Lionel Lacour