samedi 8 janvier 2011

Balades et Rallyes cinématographiques: découvrir Lyon autrement avec Cinésium !

Bonjour à tous,

Lyon, berceau du cinéma, tout le monde devrait le savoir. Mais avez vous déjà visité Lyon par les films qui ont été tournés dans la capitale des Gaules.
Cinésium, associé avec Bokage, une entreprise lyonnaise, propose aux entreprises des balades pour découvrir autrement la ville, avec des extraits des grands films tournés à Lyon, des anecdotes sur ces films, des jeux et qui permettront de donner des informations sur le patrimoine urbain, architectural et culturel de Lyon.

Pour davantage d'information, rendez-vous sur le site www.cinesium.fr

A très bientôt
Lionel Lacour

lundi 3 janvier 2011

L'avocat, un héros de cinéma - Première partie

Bonjour à tous et meilleurs voeux!

En mai 2008, l'Institut d'Etudes  Judiciaires dirigé par Franck Marmoz organisait une conférence sur la représentation de l'avocat au cinéma. Avec Me Chanon, qui avait été deux fois bâtonnier du Barreau de Lyon et qui nous fit grand honneur de sa présence, nous avons donc présenté rapidement à partir d'extraits, comment l'avocat était présenté sur grand écran. L'apport de Me Chanon était considérable car il permit de rétablir certaines distorsions entre ce qui est présenté dans les films et ce qui est de la réalité des avocats sur le terrain.
L'article qui suit reprend donc avec quelques compléments les aspects purement cinématographiques de la représentation des avocats au cinéma, ne pouvant reproduire les interventions plus techniques et professionnelles de Me Chanon.
Cet article sera présenté en deux messages, un par partie abordé dans cette conférence



Dans le merveilleux film , L’homme qui tua Liberty Valance de 1962, John Ford montrait comment les Etats-Unis étaient passés de la loi du plus fort à la Loi tout court et que celle-ci devait triompher envers et contre tous. Pourtant, rares sont les films qui firent d’un avocat à ce point un héros tenaillé par l’éthique de son métier. Car finalement, qu’est-ce qu’un avocat ? Un personnage connaissant le Droit et devant défendre les intérêts d’un client au nom de ce Droit, mais grâce également à une maîtrise de la parole et des gestes.
De cette définition, bien des portraits d’avocats ont pu être tirés et le cinéma ne fut pas le premier à les représenter. Ainsi, Cicéron lui-même s’était chargé de raconter ses propres exploits dans des ouvrages dans lesquels il montrait combien il avait réussi à défendre les intérêts d’un client peu fortuné contre l’Etat romain lui-même. Mais la grandeur d’âme de ces avocats n’est pas la seule caractéristique qui ait été retenue de ses professionnels du Droit. Et il suffit de voir ce que les caricatures de Daumier au XIXème siècle pour réaliser combien l’avocat est vu comme un notable défendant finalement ses propres intérêts. Et ce que les guignols font d’un des plus médiatiques avocats pénalistes de France ne vient pas changer beaucoup l’idée que se font les spectateurs de cette profession.

De fait, l’avocat est un personnage privilégié pour les cinéastes qui voient en lui de multiples possibilités scénaristiques, qu’il soit le défenseur ou accusateur dans un film de procès ou bien le partenaire incontournable des hommes d’affaires, pas toujours claires d’ailleurs ou encore le héraut des mutation sociétales lors de plaidoiries servant la thèse du réalisateur.

Notable de nos sociétés, la présence et la fonction de l’avocat dans une communauté ne caractérisent elles pas finalement ce qui distingue une démocratie des autres régimes ?

Définir les différentes représentations de l’avocat au cinéma n’est pas chose aisée, d’autant que certains avocats de films peuvent tour à tour endosser tel ou tel aspect de l’avocat.
Plutôt que de représenter l’activité professionnelle classique de l’avocat qui se résumerait finalement à deux temps possibles, le premier étant la prise en charge de l’affaire pour défendre les intérêts du client, le second étant logiquement l’aboutissement de l’affaire face à un juge, avec ou sans procès, j'essaierai de classer les différents types de représentation de l’avocat, que ce soit par son rapport à la justice ou par son implication dans la société.


I. L’avocat, personnage de Droit

Le film de L. Koulechov Les extraordinaires aventures de Mr West au pays des Bolcheviks de 1924 montre comment était caricaturé la justice après la Révolution d'Octobre. Des procès menés par une troika de brutes condamnait un accusé sans qu'il n'y ait la moindre possibilité de se défendre, et donc sans pouvoir être soutenu et représenté par un avocat! Cette caricature de cette jeune URSS fut possible parce que Staline n'avait pas encore pris le pouvoir. Concéder le droit à chacun de pouvoir être défendu par un professionnel de la Loi, c'est bien l'assurance que celle-ci sera appliquée sans arbitraire, ou du moins, avec le plus de possibilité pour l'individu de se défendre. L'avocat est donc le personnage qui le permet.

1. Le Droit : l’arme de l’avocat ?

Dans M le maudit, en 1931, Fritz Lang imagine un procès du criminel pédophile interprété par Peter Lorre. Ce procès est mené par le syndicat du crime qui représente une sorte d'Etat parallèle à celui de la République de Weimar. Les témoins à charge sont présents, le jury est un jury "populaire", ici l'ensemble des membres du syndicat du crime et, chose étonnante, l'accusé se voit même octroyer un avocat. Ainsi, même dans cette sorte d'Etat dans l'Etat comprend que pour qu'il y ait procès, il faut qu'il y ait simulacre de la justice démocratique où chacun pourrait défendre ses droits. Le plus étonnant dans cette séquence est l'attitude de l'avocat du pédophile. Membre du syndicat du crime, il sait - il le dit clairement à son "client" - que le sort de ce dernier est déjà scellé. Pourtant, Fritz Lang montre que ce personnage se sent comme investi de sa mission et se prend à défendre plus qu'on ne le lui demandait son client, trouvant de nombreux arguments pour l'épargner de la mort qui lui était promise.  Séquence étonnante donc pour un film qui illustre dans quelle situation désespérée se trouve la République de Weimar dont les élites se méfient du peuple mais qui montre que le sursaut peut venir par le droit, son application et par le recours aux hommes qui sont justement sensés défendre le peuple. "M" était voué à être exécuté par l'association criminelle. Mais c'est au sein de cette même "association" qu'est sorti un homme qui, investi de sa mission d'avocat, a utilisé des arguments non de force mais qui ressemblait au droit!
Alors que Fritz lang manifestait finalement son espérance en un sursaut de la démocratie et de la République allemande face à la montée des mouvements nationalistes et extrêmistes, au contraire, John Ford réalise lui en 1962 un film qui glorifie le pays dans lequel il vit. Dans L’homme qui tua Liberty Valance, le droit du plus fort, incarné par Lee Marvin (le bandit Liberty Valance) fait face au droit des lois, incarné par James Stewart (l'avocat Ransom Stoddard). Or c'est bien ce droit qui triomphe selon John Ford, imposant la démocratie, c'est-à-dire le droit de pouvoir désigner son représentant. Outre tous les aspects de cette démocratie dont certains étaient un rappel à ce que la démocratie américaine n'était pas encore, notamment avec le peu de droits accordés aux Noirs, c'est bien le rôle de l'avocat qui est magnifié: il sait les lois, les rappelle, se bat avec son livre, apprend la nécessité de chacun de savoir lire. Il ose mettre une enseigne signalant qu'on peut avoir recours à ses services. Et c'est bien parce que la Loi qu'il représente physiquement constitue une menace qu'il est régulièrement menacé jusqu'à risqué d'être tué par Liberty. Ford n'est pour autant pas naïf, il sait que le passage de la force à la loi a nécessité une transition. Son film est une sorte de parabole sur les Etats Unis d'Amérique, avec deux personnages radicalement opposés, reliés par John Wayne (Tom Donyphon) qui sait que la Loi doit prévaloir mais qu'elle aura aussi besoin, du moins durant un certain temps, de la force pour éliminer ceux qui ne n'utilisent que le droit du plus fort.
Deux représentations différentes de l'avocat, l'un se découvrant comme investi de sa mission, l'autre voulant imposer la loi. Deux visions assez nobles finalement.
Mais la loi peut être aussi l'arme de l'avocat en ce sens que les codes (civil, pénal...) sont de plus en plus comlpexes et permettent de trouver des failles dans des procédures ou pour contrer une poursuite légitime.
Dans Intolérable cruauté, Joel Cohen présente en 2003 deux avocats interpétés par Catherine Zeta Jones et George Clooney, spécialiste dans les affaires de contentieux familial entraînant des pensions et autres prestations financières. L'avocat est ici montré davantage comme un personnage cherchant à utiliser la loi, non dans un but noble, non pour défendre des intérêts légitimes mais bien pour l'utiliser, dans toutes les failles qui s'y trouvent, pour défendre son client, quand bien même serait-il objectivement en faute. L'intérêt de la défense n'est donc pas moral mais bien vénal, tant pour le client défendu que pour l'avocat.
Pourtant, le cinéma montre aussi que l'avocat peut maîtriser le droit parfaitement sans pour autant être capable d'influer sur une décision de justice. Deux films français le montrent. Jacques Deray, en 1993, faisait dire à Alain Delon qui jouait un avocat du barreau de Lyon dans le film Un crime que le droit s'efface parfois devant l'intime conviction. Le jury populaire peut donc commettre des erreurs face aux preuves ou aux arguments avancés par l'avocat. Ceci est vrai dans les dictatures où le jury est souvent mis sous pression du pouvoir. Mais dans les démocraties, les jurés peuvent de bonne foi, ou par idéologie, voter à l'encontre des preuves fournies lors du procès, comme c'est le cas dans Du silence et des ombres, film qui fait l'objet d'un des articles de ce blog.
L'autre film français que j'évoquais plus haut est le film d'Etienne Chatiliez de 2001, Tanguy. Dans ce cas, la loi va bien être utilisée pour régler un litige mais qui manifestement va à l'encontre du bon sens commun et contre laquelle un avocat ne peut rien. Ce jeune homme de 28 ans qui vit toujours chez ses parents alors qu'il gagne confortablement sa vie, refuse de quitter le domicile familial en vertu d'une loi qui oblige ses parents (qui gagnent encore mieux leur vie!). Lors du procès, l'avocat de Tanguy a recours à cette loi contre laquelle l'avocat des parents est impuissant. Dans une scène surréaliste, le père, interprété par André Dussolier, se voit signifier par son avocat l'inutilité d'un quelconque appel, conforté en ce sens par le procureur qui conseille, pour faire entendre raison à son fils, d'engager un homme de main dont il peut donner les coordonnées. La boucle est alors bouclée avec John Ford et la tentation est donc grande de recourir à la force quand l'avocat ne peut vous défendre, non par son incompétence, mais quand le droit ne peut vous donner raison.

2. Dans un Etat de Droit, chacun a droit à un avocat !
Ce qui ressort du point précédent est donc le fait que l'avocat se sert de la loi pour défendre son ou ses clients et qu'en vertu de celle-ci, il puisse obtenir gain de cause, y compris en obtenant une sanction plus modérée si son client est reconnu coupable.
L'existence de l'avocat ne peut donc être réelle dans les acceptions précitées que dans un Etat de droit, ce que le cinéma illustre souvent.
Dans Cent dollars pour un shériff d'Henry Hathaway (1969), la jeune héroïne évoque sans cesse son recours possible à un avocat pour chaque litige qui l'oppose à un autre citoyen américain. L’avocat apparaît donc comme une menace pour faire valoir ses droits face à des personnes qui savent être en tort ou qui peuvent redouter d'avoir à risquer un procès.
Cette possibilité du recours à l'avocat est vrai égalementt pour ceux qui ont commis une infraction ou un crime, car eux aussi peuvent faire valoir leurs droits. En 1958, dans en cas de malheur , Claude Autant Lara pousse son personnage féminin interprété par une sulfureuse Brigitte Bardot à commettre une agression. Et, sachant ce qu'elle risque en cas d'arrestation, celle-ci va chercher le soutien et les conseils auprès d'un avocat, joué par Jean Gabin, donnant lieu à une des scènes les plus torrides des années 1950 bien que semblant finalement assez sage au regard de ce que nous avons pu voir depuis! Il n'empêche, cette jeune femme sait que bien qu'étant coupable d'un vol avec violence, elle peut prétendre à être défendue par un avocat.
Même dans L'inspecteur Harry de Don Siegel (1971) le psychopathe Scorpio hurle son droit au recours à un avocat lorsque Harry le torture pour savoir où la jeune fille que Scorpio a kidnappé est ensevelie sous terre pour pouvoir ensuite la sauver. Cette scène est, entre autres scènes du film, une de celle qui ont conféré au film, et indirectement à Clint Eastwood, l'interprète du célèbre inspecteur, son étiquette de fasciste. En effet, le personnage d'Eastwood semble bien faire valoir que les forces de l'ordre peuvent enfreindre la loi quand celle-ci protège davantage les meurtriers que les victimes. Les spectateurs ne pouvaient que suivre cette morale, notamment lors de justement cette scène de torture qui faisait se confronter le droit à la défense du coupable face à l'absence de droit pour la victime, absence qu'essayait de pallier Harry en faisant tout, même ce qui était illégal, pour la sauver. Or le film n'est pas un film "fasciste", la scène finale le prouvant (pour ceux qui n'auraient pas vu ce film, je ne révèlerai donc pas cette séquence).
Mais l'avocat n'est pas seulement celui qui défend les criminels. C'est également lui que l'on va chercher quand on est accusé à tort d'un crime ou d'un délit. dans le cas des Etats-Unis, le recours à l'avocat est d'autant plus facile qu'il a un pouvoir d'investigation que le droit français ne permet pas. Il peut collecter les informations et les preuves comme le ferait en France le juge d'instruction. C'est notamment le cas dans le film d'Hitchcock Le faux coupable en 1956. Henry Fonda est injustement accusé de meurtre et il faudra la confiance et les compétences de son avocat pour qu'il puisse démontrer son innocence. Le rôle de l'avocat est donc montré ici comme un élément fondamental de la justice à plusieurs titres. Tout d'abord, il est celui qui permet à l'accusé de donner des informations qui pourraient le disculper. Ensuite, il permet à la justice d'éviter une erreur judiciaire en ne se fondant que sur des indices finalement douteux. Enfin, l'avocat prend aussi un risque en acceptant l'affaire car il ne sera payé qu'en fonction de la réussite de son procès. Ce paiement peut se faire aussi au pourcentage d'un préjudice reconnu comme dans le film Erin Brokovitch, film qui sera évoqué en deuxième partie de cet article.
Plus récemment, et dans un genre plus comique, c'est bien par le fait d'une avocate, certes stagiaire, que l'accusée de meurtre dans La revanche d'une blonde (de Robert Luketic en 2001) fut innocentée. Dans le cas du film, c'est au cours de l'interrogatoire, alors même que toutes les preuves semblaient désigner l'accusée d'avoir tuer son mari, que la vérité fut faite en désignant la véritable meurtrière. Montré de manière légère, le rôle de l'avocat ne se limite donc pas à ses seules compétences juridiques ou à son travail préparatoire. Il doit, comme la majorité des films le montre,  être capable de réaction et d'à propos, oubliant alors l'arsenal législatif preuve de sagacité. La revanche d'une blonde comme tant d'autres films illustre bien le fait que le recours à un avocat permet, parfois il est vrai, de résoudre des situations inextricables en rétablissant la vérité judiciaire. 


La deuxième partie viendra dans un prochain message. En voici déjà l'articulation:
II. L’avocat : bourgeois ou héraut d’une société
1. L’avocat un notable de la société ?
2. L’avocat de cinéma : les interrogations d’une société
CONCLUSION

A bientôt

Lionel Lacour

vendredi 31 décembre 2010

Chantons sous la pluie

                                                                              
Bonjour à tous

La semaine qui arrive va voir la programmation sur la chaîne satellite Cinécinéma Famiz la comédie musicale Chantons sous la pluie de Stanley Donen à 20h40.
Ce film, que j'avais programmé pour les "lundi du MégaRoyal" en mai 2010 pour un cycle "Comédies musicales" a été projeté à l'ouverture du Festival Lumière 2010 en une copie restaurée éblouissante.

Réalisé en 1952 par Stanley Donen, avec Gene Kelly à la chorégraphie et en premier rôle, ce film est certainement une des plus belles comédies musicales qui ait été tournée.

Le film reprend tout d'abord de très nombreux standards de la culture américaine, à commencer par la chanson qui donne son titre au film et autour de laquelle le film a justement été construit.
Pour tous ceux qui seraient assez rétifs aux comédies musicales, peut-être parce que vous pensez à ces ignominies  qui nous sont proposées sur scène en France depuis des années, prenez le temps de regarder seul, en couple ou en famille ce bijou.

mercredi 29 décembre 2010

Les documentaires sont-ils des documents d'historiens?


Cet article reprend celui que Jean-Pierre Meyniac avait sympathiquement accueilli sur son site http://www.cinehig.clionautes.org/ .
Il m'a semblé intéressant de le proposer à nouveau sur ce blog car il présentait différents points de droit vis-à-vis du cinéma, notamment pour ce qui concernanit le débat sur le film Le cauchemar de Darwin.

Lors de l’émission « la fabrique de l’Histoire » du jeudi 10 décembre 2009 intitulé « Historiens et réalisateurs face aux documentaires historiques », plusieurs intervenants ont débattu montrant de fait les rapports difficiles entre l’Histoire et une forme de représentation audiovisuelle.
Parmi les invités de l’émission se trouvait Laurent Véray, historien du cinéma et président de l’ « Association française de recherche sur l’histoire du cinéma », qui publie notamment le revue 1895. Laurent Véray est également réalisateur de films documentaires dont L’héroïque cinématographe réalisé en 2003. Olivier Bouzy, directeur adjoint du Centre Jeanne d'Arc, chargé de cours à l'Université d'Orléans et qui intervint régulièrement dans des documentaires sur Jeanne d’Arc, Serge Viallet, réalisateur de documentaires historiques comme Nagasaki réalisé en 1995 et Jean-Marie Salamito, professeur d'Histoire à l’Université Paris IV-Sorbonne et auteur d’une critique de la série documentaire L’apocalypse, série documentaire sur les débuts du christianisme réalisé par Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, complétaient la liste des débatteurs.
La question posée par le débat peut se résumer assez facilement autour d’une problématique assez claire : un documentaire est-il ou peut-il être un travail d’historiens ?
A cette question, plusieurs points ont alors été abordés. Il ne s’agit pas de reproduire ici l’ensemble des propos tenus mais bien de les résumer et de les commenter.
En effet, depuis plusieurs années, j’ai créé des conférences autour du thème « Histoire et Cinéma » à l’Institut Lumière et rédigé quelques articles sur la nécessité pour les Historiens de s’approprier les sources filmiques comme matériau d’analyse. Mon travail est essentiellement sur le film de fiction que j’analyse comme source de son temps de production ou de projection. Mais le traitement de l’image documentaire n’est pas si différent.

En première remarque, j’insiste sur une affirmation essentielle de Laurent Véray. Un film est un point de vue de réalisateur. Ceci est vrai quelque soit le type de film, de fiction ou documentaire. Ce point de vue obéit à des contraintes propres au genre audiovisuel et peut difficilement accepter les nuances et confrontations des « thèses ». Ce qui a été reproché à Prieur et Mordillat par Jean-Marie Salamito a été de défendre une thèse qu’il qualifie lui-même d’éculée, à savoir la trahison du message de Jésus par ses continuateurs immédiats. Or Jean-Marie Salamito n’a pas pu apporter une quelconque autre anti-thèse bien qu’Emmanuel Laurentin, le journaliste animant « La Fabrique de l’histoire », le lui ait demandé. Non qu’il n’en défende pas une, son livre Les chevaliers de l’Apocalypse, réponse à MM. Prieur et Mordillat le démontrant très bien, mais justement, parce qu’il s’est lui aussi trouvé dans une contrainte liée à la nature du débat radiophonique.
Le cinéma et les productions audiovisuelles ne peuvent faire que travail d’une Mémoire, d’une démocratisation de l’Histoire marquée, Laurent Véray l’a également signalé, par l’historiographie du temps de production. Il ne suffit que de regarder les différentes approches de la Révolution française au cinéma pour s’en persuader ! Quoi de commun dans les thématiques abordées par Renoir dans La Marseillaise en 1937 avec le diptyque de Robert Enrico en 1989, Les années Lumières et Les années Terribles ?
Dans ces deux exemples de films de fiction, on peut trouver une foule d’informations impressionnante. Mais en aucun cas un film, même en plusieurs épisodes ne pourrait rivaliser en volume d’informations avec une thèse, une somme voire un simple manuel d’Histoire. Cette évidence entraîne alors un constat qui rejoint une des questions du débat, à savoir la possible collaboration entre historiens et documentaristes. Or celle-ci ne peut pas exister selon les formes désirées par certains des intervenants, pour la bonne raison que l’historien n’a pas de limite de volume dans son travail qui peut s’adresser à un nombre faible de lecteurs. Il n’en va pas de même pour les films, de fiction ou documentaires qui ont des contraintes de durée et économiques de production.


La volonté de ne pas forcément être narratif dans l’approche historienne telle que Olivier Bouzy l’a exprimée est elle aussi peu en adéquation avec les impératifs de la production filmique qui reste un « spectacle » devant lequel le spectateur essaie de s’instruire tout en y trouvant un certain plaisir de divertissement. Pour l’historien, la chronologie est un canevas sur lequel va reposer l’analyse historique selon une méthodologie qui a d’ailleurs varié régulièrement. Pour le spectateur, de cinéma ou de télévision, la maîtrise de la chronologie est déjà en soi une certaine maîtrise du sens de l’Histoire. L’analyse que le documentaire peut apporter doit le plus possible avoir une progression chronologique. Une collaboration entre historien et documentariste ne peut donc en aucun cas aboutir à un résultat pleinement satisfaisant pour un travail d’historien en ce sens où les nuances disparaîtraient ou s’effaceraient forcément face aux nécessités du récit filmique qui peut difficilement être polysémique. Ainsi, Le chagrin et la pitié est contestable en soi si on le prend comme objet unique d’une Histoire qui se voudrait globale. Il a eu néanmoins le mérite de montrer certaines vérités jusque là dissimulées de la mémoire française. Il y a eu pourtant bien des coupes des interviews, du montage, des informations connues du réalisateur mais qu’il a sciemment occultées pour servir son propos. Ce documentaire doit-il pour autant être invalidé au regard des manques, des coupes, des points de vue d’Ophüls ? Quel sentiment les spectateurs ont-ils pu avoir à la sortie du film sinon que la majorité des Français avait collaboré ou accepté l’occupation sans grand mal ? Ophüls nous a raconté « une » Histoire de la France pendant l’occupation. Mais elle n’est qu’un aspect de cette Histoire de France. L’impression qui en ressort est exagérée par le support filmique qui assène sans laisser beaucoup de temps aux spectateurs de réagir au message du film. Tous les documentaires ayant recours à des coupes d’informations voire à leur évacuation pour des raisons en effet de point de vue de l’auteur, la seule solution serait-elle alors que les Historiens réalisent des documentaires ?

Ce qui m’amène à un point important du débat. Jean Marie Salamito a réagi à cette idée en ne voyant pas pourquoi il devrait utiliser le support audiovisuel pour faire de l’Histoire.
Faire de l’Histoire doit se prendre ici selon deux acceptions. Pour la première, il s’agirait de substituer au livre comme support de la pensée un support audiovisuel. On peut comprendre certaines réticences de faire de l’Histoire ainsi car cela peut en effet poser des problèmes, tant du point de vue de la maîtrise de la forme audiovisuelle que de la durée d’un documentaire qui respecterait scrupuleusement la méthode historienne de confrontation de toutes les sources disponibles. Mais faire de l’Histoire avec des « images qui bougent », c’est aussi prendre le film comme source de l’Histoire. Plusieurs des invités ont rappelé les vœux restés pieux d’un enseignement de ce langage audiovisuel à l’Université. Ils ont regretté que les travaux de Marc Ferro et notamment ses émissions d’analyse des archives n’aient pas été assez continuées par d’autres historiens. Mais la réaction de Jean-Marie Salamito relève surtout d’un ultra-conservatisme des historiens à l’égard du matériau audiovisuel, matériau à la fois comme support de pensée et comme source historique. Laurent Véray affirmait justement qu’un film ne s’analysait pas comme un texte ou une image fixe. Le langage cinématographique n’est pas très élaboré mais il impose néanmoins une formation pour établir une lecture différente de la simple liste des détails visuels. Et l’écriture textuelle de ces observations ne permettra jamais au lecteur de comprendre l’impact de l’image. Sorlin parlait de « l’effet cinéma » dans Sociologie du cinéma.. Cela devrait imposer une nouvelle approche de l’étude du XXème siècle, et ceux à venir, en utilisant le mode « multimédia » car l’Histoire se fait de plus en plus avec des documents audiovisuels. Nous pouvons prendre des exemples symboliques mais qui pourraient se multiplier sur des cas plus modestes. Ainsi, l’assassinat de Kennedy a eu d’autant plus d’impact sur nos contemporains que l’image a été diffusée jusqu’à aujourd’hui, parfois jusqu’à l’écoeurement. Désormais, l’Histoire se construit aussi avec des documents qui participent immédiatement à la construction de la mémoire collective. Plus récemment, les attentats du 11 septembre 2001 ont été l’occasion de la production d’une masse de documentaires réalisés avec des milliers de documents amateurs. On est loin des gravures représentant l’assassinat d’Henri IV qui étaient les seules représentations de cet événement et qui construisaient une mémoire sur un support autant artistique qu’historique !

Enfin, le genre documentaire pose de vrais problèmes aux historiens pour des raisons fondamentales. L’accès aux sources est de plus en plus facilité par la numérisation des différents supports, livres, enluminures, archives etc. Les ouvrages d’historiens sont eux aussi plus facilement consultables car internet permet à certains passionnés de mettre sur leurs sites des bibliographies quasiment exhaustive sur des thèmes pointus. Cette appropriation de ce savoir n’est pas sans problème scientifique car elle permet le meilleur comme le pire. Le meilleur étant la démocratisation, apparente, du savoir. Le pire étant la non maîtrise des sources, leur non hiérarchisation et les erreurs d’interprétation et d’analyse. Appliqué aux documentaires, ce recours aux archives offre une possibilité plus grande aux réalisateurs qui peuvent alors mettre en forme selon leur point de vue leur vision de l’Histoire. Ce qui pose problème aux historiens est alors évident. L’abondance, apparente, des sources de ces documentaires, la maîtrise du langage cinématographique, le montage notamment, et l’intervention d’experts reconnus semblent faire de ces documentaires de véritables travaux d’historiens. A juste titre, ceux-ci, formés à l’université, estiment que la méthodologie historienne manque pouvant même trahir le discours historique.
Or ils commettent finalement une erreur assez grande mais compréhensible. Si les historiens comprennent que la fluidité de l’image audiovisuelle a changé notre rapport au monde, peu d’entre eux accepte de devoir en passer par une autre manière de faire de l’Histoire d’un monde qui a généré tant d’images, en mouvement de surcroît. De plus, quand bien même ils réaliseraient leurs propres documentaires, plus coûteux à réaliser que la publication de livre ou de thèses, ils n’élimineraient pas la production de documentaires, sérieux ou fantaisistes, sur l’Histoire. Dès lors, au lieu de craindre une autre « apocalypse », il vaudrait mieux comprendre que le documentaire, quel qu’il soit participe à la construction d’une mémoire collective. Que le succès ou l’échec d’un documentaire s’explique à la fois par la qualité formelle et par ce que le spectateur est prêt à entendre. Le succès de L’apocalypse de Mordillat et Prieur ne peut s’expliquer que par le questionnement de nos sociétés sur la construction des religions. Cette série témoigne d’une époque. Il est peu probable qu’une telle série eût pu être produite dans les années 1950 !
Mais en réalité, ce qui effraie le plus les historiens, c’est que l’image documentaire semble « vraie ». En cela, leurs frayeurs sont sinon justifiées, en tout cas explicables par l’importance grandissante qu’on accorde aux documentaires comme source de vérité, justement à cause de la véracité des images. Le cauchemar de Darwin est un exemple presque parfait de cela. L’Occident entier s’auto-flagellait après sa sortie et chaque critique y allait de son verbe pour fustiger ce monde libéral néocolonial. C’était oublier que ce film n’était qu’un film, avec un point de vue, avec ses manipulations cinématographiques. François Garçon, premier encenseur du film fut celui qui réagit le plus virulemment ensuite pour démonter le documentaire dans Enquête sur le cauchemar de Darwin, publié en 2006. Poursuivi en justice pour diffamation par le réalisateur, François Garçon perdit ses procès. L’argument motivant sa condamnation à la cour d’appel de Paris le 11 mars 2009 ne manque pas d’intriguer :
« [François Garçon ne disposait] manifestement pas d'une base factuelle suffisante pour formuler à l'encontre du réalisateur une telle accusation de manipulation des enfants et de tromperie sur la réalité des situations qu'il a filmées [Sur la bonne foi, François Garçon qui est professeur aurait dû disposer d'une base factuelle suffisante et tenir compte de la nature de l'œuvre de Hubert Sauper, qui n'est pas un documentaire didactique mais un documentaire de création] »
La justice, par ses attendus, place l’œuvre documentaire comme œuvre de création et non comme œuvre scientifique, entendu ici de sciences humaines. Or la perception des spectateurs n’est en aucun cas celle d’une œuvre artistique. Et la condamnation de François Garçon confirme bien l’ambiguïté du documentaire : œuvre de création (d’invention ?) du point de vue juridique, œuvre scientifique ou politique pour les spectateurs. On comprend alors les inquiétudes des historiens face aux documentaires.

Pourtant, et pour conclure, il faudrait comprendre que le temps du documentaire n’est pas celui de l’historien. Celui-ci peut travailler des années, voire des décennies sur un même thème, y revenir, voire contredire ses premières conclusions au gré de ses recherches ou de sources nouvelles. Le documentariste travaille rarement au-delà de plusieurs mois. Son travail se rapproche davantage du compilateur qui peut avoir dans le meilleur des cas un point de vue. Peu importe la validité historique de ce point de vue. Nous l’avons vu, les contraintes des films, documentaires comme fictions d’ailleurs, obligent presque obligatoirement les réalisateurs à être en phase avec un public cible. Inconsciemment, ces réalisateurs peuvent réaliser des documentaires sur Jésus en 2008 mais constituer une source remarquable pour les historiens étudiant plus tard… le XXIème siècle et ses rapports au christianisme. Ce temps du documentaire est donc en corrélation avec celui de son époque. Le documentaire aura instruit, diverti et sera oublié pour l’essentiel par les spectateurs qui retiendront, pour reprendre L’apocalypse, que le message de Jésus a été trahi pas ses disciples. Jusqu’à ce qu’un autre documentaire apporte une autre thèse, tout aussi simplifiée. Le temps de l’Histoire est un temps long, celui du documentaire est un temps de l’immédiateté du spectateur. Ce téléscopage temporel inévitable fait qu’il y aura toujours ce débat sur les documentaires, œuvres de mémoire qui « trahissent » l’Histoire.

Lionel Lacour