mardi 3 novembre 2015

"Hatari!", chef-d'œuvre néocolonial

Bonjour à tous,

Howard Hawks a toujours aimé les films d'hommes, à fort coefficient de testostérone, dans lesquels la femme apparaît comme une sorte de perturbateur endocrinien au bon fonctionnement d'un groupe ou d'un individu, mais qui peut devenir acceptable à la condition qu'elle accepte finalement de ne pas trop changer l'homme sur lequel elle a décidé de jeter son dévolu.
Hatari! ne déroge pas, de ce point de vue, à la règle des autres films hawksiens. De même, le réalisateur américain s'inscrit dans la tradition des grands cinéastes hollywoodiens qui ont filmé l'Afrique noire (voir Les Africains noirs dans le cinéma occidental): Huston, Ford et tant d'autres ont montré ce continent sauvage dans des films majeurs ou dans des séries B. Pourtant, Hatari!, sorti en 1962, a une approche plus moderne que celle des cinéastes contemporains de Hawks, laissant transparaître ce que l'Afrique demeure pour les Occidentaux malgré la récente
décolonisation d'une grande partie du continent.

Bande Annonce:


L'Afrique, un continent encore sauvage
Hatari! se distingue des autres à la fois par la forme que par le contenu. Ainsi, fidèle à ses fameux principes de tourner à hauteur d'hommes, Hawks, venu tourner en Tanzanie, donne une vision de l'Afrique loin des grands plans paysagers à vue d'avion. Et pourtant, l'immensité des grands espaces Tanzaniens apparaît à l'écran, en suivant les courses effrénées des zèbres, girafes ou buffles sur fond de versants lointains qui entourent le Serengeti. Comme à son accoutumée, Hawks montre un espace que l'homme peut dominer, une nature sinon domesticable, du moins exploitable malgré la violence du gibier.

Hatari signifie en swahili "Attention, danger" et tout dans le film renvoie régulièrement à cet aspect du monde
sauvage: le buffle qui résiste à la prise au lasso, la Panthère qui doit être attrapée de loin dans un piège positionné dans un arbre, l'éléphante qui attaque Dallas la photographe, les singes mordant pour se défendre les mains et les corps de ceux voulant les mettre dans une cage jusqu'aux Rhinocéros qui, dès l'entame du film jusqu'à la fin, sont une menace mortelle pour les héros, des aventuriers occidentaux capturant des animaux pour les zoos. Les séquences de capture de Rhinocéros sont d'ailleurs des moments de cinéma fascinants, avec ces gros plans sur la tête de Rhinocéros attaquant la bétaillère en train de rouler.

Cette crainte d'un monde animal farouche et hostile s'appuie sur les préjugés des spectateurs. Dallas tremble devant un guépard qui se trouve être en fait une inoffensive bête domestiquée. Elle est moins drôle quand il s'agit d'éliminer un éléphanteau parce que sa mère est morte et qu'il risque d'être ensuite dévoré par des prédateurs. Le monde sauvage que représente l'Afrique se résume presque dans cette séquence qui montre la dure loi de la jungle à laquelle l'homme apporte parfois un peu de compassion: éviter que l'éléphanteau ne souffre en le tuant avant que d'être attaqué au risque d'agoniser des heures.

Une vision paternaliste des Africains
Les Occidentaux présents dans le film sont dirigés par Sean Mercer (John Wayne). Son équipe d'origine disparate (un Allemand, un Français, un Indien, un New-Yorkais, un Latino...) se comporte sans violence vis-à-vis des autochtones mais ceux-ci sont présentés comme étant à leur service, soit aux tâches domestiques, préparant à manger ou faisant le ménage, soit aux activités pour capturer les bêtes sauvages. Jamais ces serviteurs ne sont montrés comme décisionnaires de quoi que ce soit.
Toutes les fonctions de décision sont occupées par des blancs, y compris à l'hôpital où le chirurgien est blanc. Les serviteurs sont occidentalisés, sont habillés comme des occidentaux et parlent, même mal, l'anglais.
En revanche, les peuples non soumis à l'autorité des occidentaux sont montrés différemment et dans plusieurs situations. Ainsi, le peuple Maasaï est présenté par Sean à Dallas (Elsa Martinelli) comme un peuple d'éleveur de chèvres. Dans une séquence pouvant presque relever du documentaire, Hawks filme ces éleveurs en train de remonter de l'eau de manière très originale et sans discontinuer. Si Sean fait preuve de pédagogie en décrivant la scène à la béotienne qu'est Dallas, il ne manque pas de signaler avec une certaine moquerie, que si le puits venait à se boucher, ce serait un autre peuple qui viendrait le réparer. Et de rajouter que les Maasaï sont des éleveurs, "trop fiers pour travailler de leurs mains". Cette remarque s'ajoute à la présentation du puits, construits depuis des dizaines de générations. La conclusion qui en découle est donc très claire. La société africaine traditionnelle repose sur une tradition immuable, sclérosante et non propice au progrès, tant technique que sociétal.
C'est encore Dallas qui est au centre d'une autre séquence mettant en scène un autre peuple africain. En effet, Dallas qui a sauvé des éléphanteaux de la mort est entraînée par tout un village pour être proclamée "Mama Tambo" ou "protectrice des éléphanteaux". Cette cérémonie ne se fait pas sans un rituel très exotique, avec la complicité passive de l'équipe de Sean qui laisse la pauvre Dallas se faire teindre le corps et tresser les cheveux, pour finir habillée comme les membres de la tribu et en dansant sur une musique essentiellement jouée par des percussions. Dallas doit d'ailleurs ensuite recourir à des crèmes et lotions pour parvenir à retourner au canon esthétique de sa civilisation!
Cette dernière séquence ne montre aucune animosité des Occidentaux vis-à-vis des tribus indigènes. L'inverse non plus d'ailleurs. C'est donc en toute paix que Hawks nous montre des blancs se comporter comme des occupants d'un territoire habité par des tribus ayant par certains aspects des comportements communautaire inoffensifs mais plutôt immatures. Obéissant comme de grands enfants ou ne cherchant pas à suivre le progrès du monde occidental, les Africains d'Hatari! sont de grands enfants qui acceptent la domination de papa ou du maître incarné parfaitement par le personnage de Sean. C'est d'ailleurs par "Papa"que Pocket, un des membres de l'équipe, l'appelle pour signifier son obéissance, ou par "Bwana" (blanc colonialiste dans une langue d'Afrique orientale) que l'Indien lui répond pour lui signifier qu'il ne peut effectuer la mission qui lui est confiée.

L'Afrique, de la terre à explorer à la terre à exploiter
Le temps colonial est révolu dans Hatari. Le territoire est conquis et aménagé. La ville d'Arusha à la fin du film montre que le monde urbain cher aux occidentaux est en train de s'imposer avec les services qui lui sont associés: aéroport, banque, hôpital, hôtels, commerces alimentaires et même boutiques pour touristes.
Si l'essentiel du film présente un territoire vaste et non urbanisé, jamais il n'apparaît comme inconnu. Les dangers sont désormais connus des occidentaux qui y vivent depuis longtemps. Si Dallas est encore une ingénue, Sean est un spécialiste capable de reconnaître une femelle éléphant et de se protéger des différentes menaces qui rodent à proximité des points d'eau dans la savane.
L'originalité d'Hatari! est de montrer une richesse du territoire africain rarement montrée au cinéma et rarement même évoquée en économie. Et pourtant, le sujet du film tout entier s'appuie sur l'extraction de cette richesse à destination des pays riches, les pays européens notamment. Cette richesse est bien sûr l'exotisme de la faune africaine qui fait rêver les peuples européens et américains et qui vient remplir les différents zoos des grandes villes occidentales.
L'aspect industriel de cette prédation du vivant est explicitement présente dans le film quand plusieurs séquences montrent un tableau récapitulatif des commandes d'animaux faites par les différents zoos. La présence de Dallas est d'ailleurs liée à ces zoos puisqu'elle travaille comme photographe pour un zoo suisse. La plus-value de cet établissement repose sur les photos des captures des animaux qui seront ensuite montrés aux visiteurs du zoo, preuve de l'origine sauvage des bêtes réduites ensuite à être exposées en cage.

Qui dit industrialisation implique également une ingénierie de la prédation avec matériel spécialisé et distribution des tâches pour la capture: le contre-maître (Sean), les cadres (les blancs) pilotes ou tireurs, et les manutentionnaires (les noirs) n'étant utilisé que pour leur force physique pour mettre les bêtes dans les cages.
L'aspect prédation néocolonial est enfin confirmé par le fait que si les blancs connaissent bien l'Afrique, celle-ci n'est qu'un espace de travail pour s'enrichir. En effet, ils n'y vivent que le temps des captures. Quand cette saison est finie, chacun des protagonistes retourne dans son pays d'origine pour y vivre leur passion ou retrouver leur vie familiale. L'Afrique n'est dont pas pour eux une terre d'émigration mais bien une réserve qui leur permet de s'enrichir suffisamment pour vivre le reste de l'année tandis que les Africains ne voient évidemment pas leur revenir la valeur réelle des richesses prélevées autrement que par les salaires payés à ceux étant au service de ces Occidentaux.

Ainsi, Hatari! est une formidable manière de comprendre comment les terres africaines sont passées de terres colonisées et dominées politiquement voire militairement par les puissances européennes à un territoire officiellement indépendant mais dont la richesse est restée, du moins au lendemain des indépendances, aux mains des Occidentaux, qui continuaient finalement de vivre de l'Afrique et de ses richesses sans payer le prix de l'administration coloniale.

Au-delà de cette analyse contextuelle du film, Hatari! reste un film remarquable, racontant par plusieurs séquences sans lien entre elles, les aventures drôles ou dangereuses de ces baroudeurs risquant leur vie pour le plaisir des habitants d'Europe ou d'Amérique. Servi par la musique de Henry Mancini, jouée avec des instruments africains, Hatari!, en dehors de son contexte historique, constitue une œuvre souvent sous-évaluée. Il démontre pourtant qu'un scénario s'appuyant sur une ligne dramaturgique réduite et un fil rouge romantique très fin peut donner un film remarquable quand la caractérisation des personnages est forte et que les scènes d'action intense servent le thème filmé au lieu de masquer la vacuité de l'histoire.

À très bientôt

Lionel Lacour


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